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Dans la lumière verte

Dans la lumière verte

On aurait dit une grand-mère.

Je venais de terminer une visite au service oncologie de l’hôpital X, vers 17 heures. Les couloirs, éclairés en demi jour par les lampes sur les bureaux vitrés des secrétaires, et par la lumière froide et morne des néons, semblaient encore plus hostiles que d’habitude.

Une guirlande de noël suspendue dans un coin de la salle d’attente ne faisait qu’augmenter l’impression de solitude et de désolation du lieu.

Je sortais de la salle des assistantes. Elles papotaient, bien entendu, sur le menu de noël et les festivités à venir. On dirait qu’en décembre, chacun ne pense plus qu’à ça, peut-être pour conjurer la tristesse des jours de travail, et la nuit qui mange les matinées et les après-midis. Peut-être aussi pour faire comme tout le monde, afficher son bonheur, ses perspectives de vies pleines d’enfants, de cadeaux, de cris et de rires, et enfin de cocooning en famille.

Elle était tout petite et toute frêle dans son imperméable et avec son chapeau sur la tête.

  • « Demandez aux assistantes, je n’ai pas le temps », voilà ce que venait de lui répondre l’oncologue en lui tournant le dos.

Elle m’avait jeté un regard plein de colère. Elle poussait une sorte de chariot, comme un trolley pour faire les courses.

Je suis venue à elle et tout de suite :

  • « Vous cherchez quelque chose ?
  • Pff, me répond- elle en haussant les épaules, quel mufle ce médecin !
  • Excusez- moi, mais vous n’avez pas l’habitude, ils sont tous comme ça par ici, non ?
  • Ah, non ! le mien a commencé comme ça, mais je l’ai vite mis au pas. Je lui ai rappelé que c’était moi la malade, il n’a pas continué à me prendre de haut bien longtemps. »

Je n’ai pas précisé qu’elle venait d’être repoussée sèchement par « mon » médecin, j’avais honte pour lui.

Nous avons pris l’ascenseur ensemble, et comme il fallait parcourir des kilomètres avant la sortie, nous avons entamé la conversation.

Elle avait été détectée soudainement (mal de ventre dans la nuit) d’un vilain cancer au pancréas il y a 3 ans. Elle avait été d’abord opérée (ablation de la moitié du pancréas) puis traitée (chimiothérapie).

Elle avait récidivé, une fois, puis plusieurs. Et c’étaient les intestins, puis le foie…

Mais trois ans, c’est magnifique pour ce type de cancer.

Comme nous traversions le jardin, dans la nuit verte, elle m’a dit :

  • « Je vais m’en griller une. Cela faisait longtemps que je n’avais pas fumé !
  • Moi aussi, vous accepteriez de m’en passer une ? »

Et on a pu continuer le bavardage.

Elle n’avait que 59 ans, mais sous son chapeau, elle avait encore des cheveux. Elle supportait bien la chimio, tellement bien que maintenant, elle ne passait plus par son oncologue et allait directement à la séance de chimio, dès qu’elle était prévenue que ses résultats n’étaient pas très bons. D’ailleurs, elle en revenait, elle sortait d’une séance. Elle ne connaissait pas le produit qu’on lui injectait, et s’en souciait peu.

Son mari était parti avec une amie à elle, il y a 15 ans. Non, elle ne faisait aucune relation entre cette séparation et sa maladie. En revanche, elle l’avait vraiment très mal vécu, ce divorce.

Et elle avait beaucoup grossi, pendant plus d’une dizaine d’années, jusqu’à peser 100 kgs.

Ah, oui, impressionnant ! Aujourd’hui elle a dû en perdre 50 , me suis-je pensé! Elle est si fluette cachée dans son imperméable ! .

Mais elle incriminait surtout les médecins qui lui avaient fait prendre des antis dépresseurs, c’est ça qui l’avait fait grossir, aucun doute, elle leur en voulait, essentiellement parce que ces drogues ne l’avaient pas rendue plus heureuse pour autant. Elle en avalait de plus en plus, de ces maudites drogues, avait accumulé les kilos, et la dépression s’était installée, alimentée, de plus, par la mauvaise image d’elle obèse.

Elle était bien consciente de la gravité de sa maladie mais acceptait tout,  non pas avec fatalité, de manière passive, mais avec le courage nécessaire pour affronter le sort, l'inéluctable de la vie.

C’était écrit quelque part, mais il fallait faire face, pas se résigner mais lutter, pour le principe, pas tellement pour gagner, on ne gagne pas sur la mort, mais peut-être gagner un peu de temps, un peu de vie, un peu d’amour ?

Non, pas les hommes, elle n’avait plus jamais pensé aux hommes (elle devait avoir dans les 45 ans quand son mari l’avait quittée), et n’y penserait plus jamais.

Maintenant elle ne vivait plus que pour ses deux garçons et sa fille appelés Moune, Robinson et Patou, de splendides gouttières noir et blanc.

Elle avait pris des chats, c’était toute sa vie, elle avait jeté tous les médicaments et se sentait bien mieux maintenant.

La chimio ?

  • « Je peux vous dire que là, tout de suite, je ne sens plus ni mes mains ni mes pieds, mais ça passera. Et voyez, la chimio me fait perdre mes dents, elles deviennent toutes friables ».

Elle m’a montré ses dents qui s’effritaient effectivement, et sur le devant, mais elle ne se plaignait nullement. Elle haussait les épaules.

Elle a refusé que je l’aide dans les escaliers du hall d’entrée. Son trolley lui servait de canne et elle n’avait pas besoin d’aide. Elle a refusé aussi que je la ramène en voiture, elle attendait son ambulance, son bon de transport était dans sa main, et elle voulait conserver ses habitudes.

Nous sommes allées à l’accueil, et les personnes de l’accueil l’ont tout de suite reconnue :

  • « Ah ! Madame Y, ça fait plaisir. Comment vont vos chats ? »

La jeune femme (il y avait une femme et un homme) a embrayé sur le sien de chat, qui venait d’attraper un rhume et qu’elle avait emmené chez le vétérinaire trois fois en un mois.

Et le jeune homme m’a dit :

  • « Elle fait partie de nos chouchous. On a nos patients préférés. Madame Y, on vous appelle votre transport tout de suite »

La dame au chapeau et aux yeux farouches a sorti des photos de ses trois petits.

J’ai admiré les trois chats obèses dont elle était si fière. Chacun devait peser entre 15 et 20 kgs. Je me suis extasiée sans chiqué. J’étais vraiment heureuse pour elle.

Et je me suis éclipsée pour la laisser à son immense plaisir : raconter les dernières facéties de ses marmots, comment ils grimpaient sur le lit, comment elle les soignait, comment ils avaient évolué.

Je pense qu’ils auront de beaux jouets pour noël et un repas de dinde farcie aux petits oignons ! Je suis certaine que ce noël de cocooning en famille leur sera d’une grande douceur.

Et moi, je penserai à cette dame au chapeau et aux yeux déterminés, croisée dans la lumière verte et qui m’a tant apporté en si peu de temps. Quelle admirable personne j’ai eu la chance d’apercevoir !

 

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C
Quel regard bienveillant, comme un sourire dans la nuit. Je termine cet article en me demandant qui est la plus heureuse, elle ou toi ?<br /> Tu connais tant de chose sur la maladie et elle si peu...
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C
Ma Clairette, voilà une remarque empathique qui me va droit au coeur! merci beaucoup