J’ai presque une vénération pour la pédagogie. Un vrai bon prof, on en a tous connu un dans notre vie. Il ou elle l’a changée indéniablement.
De mon temps, c’était l’instituteur qui guidait les premières orientations scolaires d’un enfant, en conseillant l’entrée en sixième, à laquelle tous les mômes ne pouvaient pas prétendre. Il fallait avoir été repéré. Je ne sais pas bien comment d’ailleurs. Peut-être tout bêtement sur la capacité à écrire sans trop de fautes d’orthographe ! Quand je vois l’orthographe d’aujourd’hui, utilisée par des gens qui semblent même avoir poursuivi quelques études, je m’interroge sur les critères qui président aux sélections ! Actuellement, il est manifestement possible d'être avocat, administrateur, ingénieur ou même professeur, sans se soucier de respecter quelques règles élémentaires de conjugaison. À dire vrai, pourquoi pas ? Je ne suis pas de celles qui vont pleurer sur la dictée d’autrefois, vrai moment de torture, où même les plus doués finissaient par tomber dans les pièges de la langue française. Si on peut simplifier, simplifions, la langue n’est pas un sanctuaire et elle peut/doit évoluer.
Peu importent à la fin, les savoirs de base. Lire, écrire, compter sont moins importants que de pouvoir se servir d’internet, c'est juste. Tant pis si la recherche intuitive, quand on ne sait pas orthographier, ça risque de finir bizarrement. L’orthographe a vécu, il faudra juste rester intelligible. (J’avoue que parfois ce que je lis sur FB me laisse interrogative, mais passons, tout peut changer).
La motivation des enseignants pour la pédagogie des savoirs ne me semble pourtant pas avoir faibli, bien au contraire. Contre vents et marées, je vois, sur des blogs d’enseignants, d’excellents documents pédagogiques qui sont mis à disposition de tous. Ces blogueuses (je n’ai vu que des blogs de femmes, où sont passés les maitres d’école ?) se donnent un mal de chien pour partager leurs expériences, mettre à disposition des supports de cours et des agendas, des déroulés de séances découpés par heure- et même par demi-heure- et vont jusqu’à donner en ligne le feuillet de l’élève, annoté de façon précise, avec des jeux de couleurs. Quel bonheur !
Il faut leur rendre hommage : ces enseignants de primaire et même de maternelle, sont d’une générosité incroyable, comme en témoignent leurs sites, tellement riches, tellement précieux pour des nouveaux profs, isolés forcément et qui peuvent ainsi accéder à des aides pédagogiques en accès libre (contrairement à ceux qui sont plus « officiels » et qui sont….payants !.
Donc si les enseignants conservent leur motivation, comment se fait-il que leur rôle soit devenu si transparent ?
Le maître d’école avait, je l’ai écrit plus haut, au-delà de ces enseignements scolaires, un rôle de détection des potentiels, et de conseil dans l’orientation. Que sont devenues ces compétences ? Il me semble qu’on leur demande simplement aujourd’hui de plus ou moins respecter un programme. Ont -ils perdu à ce point toute qualité à estimer les points forts d’un enfant ou bien ont-ils eu pour consignes de ne surtout pas « discriminer », même s’agissant des capacités intellectuelles d’un môme ? C’est bien faire société que d’aiguiller chacun vers ce qui lui convient le mieux, vers ce pour quoi il est plus apte, non ?
Malgré un luxe inouï de techniques peu chères qu’ils peuvent aujourd’hui utiliser, les enseignants en sont réduits à faire du chiffre, c’est très cynique, mais cela me parait assez proche de la réalité. Ils font leur année de cours, point barre. Ils font de la pédagogie, certes, mais comme elle n’est plus liée aux résultats, les passoires ont des trous géants qui remplissent nos administrations et nos entreprises d’illettrés. Je n’exagère rien, je l’ai vu comme vous pouvez tous le constater.
Je vais poursuivre avec le secondaire.
Il y avait bien toujours un ou des profs du secondaire, qui, malgré la distance sociale qui nous séparait d’eux, trouvaient le moyen de nous encourager dans la poursuite de nos études. Ce n’était pas fréquent, mais d’autant plus appréciable. Ces profs, surtout quand ça allait mal et qu’on perdait un peu nos motivations, savaient comment nous redonner confiance, et c’était déterminant pour nous. Ce qui était en jeu c’était la possibilité ou non de mobilité sociale, donc de l’accès à une vie meilleure. Dans nos campagnes, où la vie avait été et restait rude, il n’était pas d’usage de rêver à des métiers qui paraissaient inaccessibles, même si, pour ses enfants, on pouvait nourrir quelques ambitions. Dans le village, les enfants ainsi sélectionnés, étaient un peu regardés comme des mutants. Nous allions changer de monde, et nous devenions effrayants. Jamais, au grand jamais, on ne nous parlait de différences sociales, et pas plus d’ailleurs que de religion ou de tout autre appartenance. Alors c’est vrai, il existait entre nous, une apparente uniformité : nous étions des jeunes filles françaises, blanches et d’origine catholique. En apparence seulement. Nous avions presque toutes des parents ou grands-parents immigrés, ou pieds noirs (la France est une terre d’immigration, faut-il le rappeler ?) et nos religions allaient d’une solide aversion à l’opium du peuple jusqu’aux pratiques les plus rigoureuses. Mais ni nous ni nos parents ne se précipitaient, ni dans l’école ni au dehors, pour évoquer ces sujets qui ne nous passionnaient pas tellement. Pas un missel, pas un signe religieux ne rentrait à l’école. C’était reposant et nous ne le savions pas.
Je n’apprendrais à personne que l’ascenseur social a été mis en panne depuis longtemps et que, faute de perspectives, c’est le sens même de la promotion par l’école qui a disparu.
Les emplois industriels ont été rayés quasi intégralement du paysage français. Auraient-ils subsisté d’ailleurs, qu’ils auraient subi la concurrence effrénée des nouveaux ateliers du monde au point de fournir à nouveau, comme au XIXème siècle, une main d’œuvre esclavagisée et certainement à nouveau tétanisée et soumise par la menace d’un chômage de masse. Les emplois de service sont, pour leur part, assurés par les vagues d’immigration successives assignées à résidence dans les banlieues devenues des zones de non droit.
L’école s'est transformée en un service non essentiel pour la transmission des savoirs. Elle ressemble de plus en plus à un sas de stockage avant entrée dans le chômage et la précarité. Comment y faire encore de la « pédagogie » ? À nouveau des profs conservent l’espoir jusqu’à y perdre la santé et parfois la vie, comme des exemples récents nous l'ont rappelé.
Eux ne sont pas en cause. Car bien au-delà des perspectives sociales rétrécies, il y a une idéologie sournoise et dévastatrice qui a installé la défaite de l’école. J’entendais encore hier l’étalage télévisé de ces doctrines mortifères. Sous l’affreux prétexte de l’égalité des chances, (que personne ne conteste), on en arrive à défendre l’idée que tous peuvent -à égalité -accéder aux métiers les plus prestigieux et que donc, l’école doit promouvoir toute la classe. D’où les taux de 95% et plus de réussite au bac, qui, de ce fait, perd toute légitimité et surtout ne constitue plus un challenge stimulant. Dans le but (louable) de faire « réussir » tout le monde, on n’arrive même plus à détecter, chez les moins favorisés, les véritables talents. Cela conduit à un échec collectif. Mais peu importe finalement puisqu’on sait d’avance qui occupera ces fameux postes de prestige. La compétence n’y est pas requise. Seuls la cooptation et l’entregent permettent d’y accéder.
Nous revoilou dans une société que nous avons toujours connue. Depuis l’antiquité jusqu’à la seconde guerre mondiale, les masses abêties auxquelles on retire progressivement les droits fondamentaux, s’agglutinent aux pieds d’une noblesse au pouvoir. L’école, qui a été un rouage décisif de la démocratie, s’en va avec les apprentissages de la citoyenneté, jetés dans la rivière de l’oubli…Je plains les enseignants.
Mon prochain post portera sur la pédagogie politique, complètement "nudgée" aujourd'hui, pour convenir à des masses méprisées car jugées incultes par ceux qui là même qui les ont dirigées vers l'obscurantisme.