Ce film est bouleversant. J’avais les larmes aux yeux presque tout le temps. Pourtant, il n'y a aucune exhibition, aucun épanchement, aucune hystérisation, rien n’est vraiment dit, tout est suggéré avec une pudeur incroyable, une retenue magnifique, une tristesse teintée de tendresse, un grand silence.
Nous sommes en Hongrie juste après la guerre, la seconde guerre mondiale. Les juifs ont été déportés tardivement en Hongrie : seulement à partir de 1944, mais à ce moment là ils ont été massivement exterminés dans les camps.
Nous ne voyons rien de l'holocauste dans le film et les personnages ne racontent rien. À vrai dire, ils ne savent pas, ou ne veulent pas imaginer. Ce sont des survivants, miraculeusement échappés des camps ou alors non déportés, miraculeusement échappés à la rafle.
Le gynécologue, un homme de plus de 40 ans, a connu l’enfer, son bras est tatoué. La jeune fille espère toujours le retour de ses parents et n’admet pas (encore) qu’elle ne les reverra plus jamais. Elle est tout juste pubère et a été récupérée à l’orphelinat par une tante.
Quand commence le film, elle arrive avec sa tante dans le cabinet de gynéco pour justement vérifier que tout va bien de ce côté-là, du côté de sa féminité.
Elle, c’est un petit hérisson, pleine de piquants et de révolte. Elle est en crise, comme une ado qui ne comprend pas encore toutes les horreurs qui l’accablent. Elle revient de l’orphelinat et on devine aussi qu’elle souffre beaucoup. Mais rien n’est dit. Elle a perdu ses repères, elle n’a plus ses parents et sa vieille tante ne peut suffire à donner un sens à sa vie.
Elle va s’accrocher à ce médecin pour faire face à son désarroi, ne plus être seule, se sentir aimée et comprise. Elle, qui n’est encore qu’une toute jeune fille, s’approche de la zone dangereuse, de la limite, de ce qu’on peut appeler la séduction. Mais cette histoire n’est pas l’histoire d'une Lolita qui tomberait dans les bras de son médecin, simplement parce qu’il est attentif et peut l’accueillir. Non, pas du tout.
Le gynécologue n’est pas un homme pour la jeune fille. Il est l’image d’un père. Quoiqu’elle fasse, et même si ses gestes peuvent paraître ambigus, elle arrive à faire la différence entre le rôle de médecin, le rôle de père de substitution et le rôle d’amant potentiel. Elle flirte avec l’amour plutôt qu’avec cet homme. Elle est comme une fille adoptive qui aurait choisi son parent, elle est possessive parce qu’elle a peur de perdre, et en attente d’affection, parce qu’elle en manque tellement. Mais il n’y a rien de sexuel, même quand elle vient se blottir dans le lit de ce « père », pour ne plus faire de cauchemars, pour être rassurée.
Le gynéco l’a bien compris et c’est avec une grande délicatesse qu’il prend cette jeune fille dans ses bras, sans aucune confusion possible de son côté non plus.
Le thème de ce film, c’est ce qu’il arrive à ceux qui sont "restés", qui ont survécu. Ils vivent avec les absents, avec les manques, avec la peur constante de perdre ceux qu’ils aiment, avec parfois l’espoir qu’ils vont revenir et parfois la sensation que les absents sont encore là, tout près, présents malgré tout.
Il leur est difficile de commencer une nouvelle vie, de recommencer à vivre avec le poids de ceux qui ont disparu et dans la crainte que ça recommence, que d’autres disparaissent à nouveau, qu’il faille encore revivre ces brûlures de l’abandon et de la culpabilité. Culpabilité de simplement être revenus, comme l’ont connu presque tous les déportés. Abandon même si ce n'est absolument pas le cas.
Le régime communiste qui se met en place en Hongrie après-guerre n’inspire guère confiance et on voit même revenir le spectre de la méfiance, du contrôle autoritaire et de la suspicion généralisée, et même le retour des déportations.
C’est un film d’une très grande sensibilité, où les souffrances sont indicibles mais sont pourtant perçues dans les silences et les regards, d’une infinie humanité et d’une profonde détresse.
Magnifique !
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