Quel film que ce film "The Humorist" !
L’action se déroule en 1984, avant la chute du rideau de fer et la perestroïka. Un écrivain raté, Boris Arkadiev, est amené à jouer de l’humour dans des stand-up qui rassemblent des gens de l’intelligentsia, souvent en vacances au bord de la mer.
La première scène, après un échantillon de son stand-up, est destinée à montrer le caractère de l’humoriste. Il se retrouve invité, dans une datcha, en Lettonie où il vient de faire son spectacle (et qui était l’équivalent de Saint-Tropez pour les Soviétiques). Les copains sont comme lui, tous juifs et font des blagues juives.
Par exemple, alors que l’Union Soviétique envoie des hommes dans l’espace, il est demandé aux convives de concourir à la meilleure blague sur le thème : Pourquoi n’envoie-t-on jamais de juifs dans l’espace ?
Les idées vont bon train : « parce que le pain azyme se brise en apesanteur », « parce que leurs mères ne voudraient jamais », « parce qu’il y a du sang de petits enfants chrétiens dans les tubes de nourriture », « parce qu’ils ne reviendraient jamais de l’espace, les juifs étant trop habitués à vivre dans le vide » …Notre humoriste est le meilleur à ce jeu d’esprit, et il est aussi le meilleur dans la séduction des femmes. Il lui suffit de dire « Viens » à la plus belle femme de la soirée pour qu’aussitôt elle prenne ses affaires et le suive, délaissant le petit ami avec lequel elle était venue.
L’humoriste est complètement dépressif, ou désabusé. Il voit bien qu’il est contraint de toutes parts, qu’il ne peut même pas donner un prénom qui rappellerait Lénine à son personnage, un singe macaque, personnage qui lui permet de dénoncer l’absurdité du régime sans l’attaquer de front. Il doit l’appeler Arthur car Illich n’est pas bien vu de la censure.
Ses relations avec sa femme ne sont pas au beau fixe, (essentiellement parce qu’il est toujours en déplacement), il s’engueule avec son fils ado (ingrat comme tous les ados, et qui lui reproche d’avoir raté sa vie), fils qui ne jure que par l’Ouest et les chansons de Bowie. En fait beaucoup rêvent de New York, de la liberté, de la levée des interdictions et donc de la peur qu’inspire le contrôle strict du KGB sur l’activité créatrice. On vient souvent le chercher pour amuser les grands pontes de la nomenklatura, à la nuit tombée.
Je passe sur les scènes rocambolesques où il exécute son numéro pour le compte d’un astronaute qui s’ennuie dans sa capsule spatiale. Le clou de ce film est, à mon avis, une des scènes finales, où un apparatchik (le commandant du KGB) l’invite dans son sauna particulier pour amuser la galerie. Les images sont juste sensationnelles. On a vraiment l’impression d ‘être dans un amphithéâtre romain, entouré de sénateurs en toges, tous plus corrompus les uns que les autres, courtisans attitrés d’un régime en pleine débandade, adonnés à la vodka, et peu soucieux de la réalité populaire. Comment ne pas y voir la dénonciation de la décadence totale des élites et de la société soviétique tout entière ?
Le réalisateur vit aux USA mais il est né en Lettonie justement pendant l’époque soviétique. Il est un proche de Kirill Serebrennikov, l’immense réalisateur russe, actuellement en liberté surveillée en Russie, après avoir été condamné pour des de délits imaginaires.
Film vu dans le cadre du festival français du Film Juif: https://www.fffj.fr/welcome .
The Humorist, de Michael Idov, avec Aleksey Agranovich, Yuri Kolokolnikov, Vilma Kutaviciute, Alisa Khazanova, Russie / Lettonie / République Tchèque, 2019, 1h40.