Un documentaire sur une prison où tous les prisonniers témoignent à visage découvert, c’est rare. Mais ce qui est encore plus rare, c’est l’esthétique du film, tourné en 25 jours dans une prison hors d’âge, en passe de démolition. Les Baumettes à Marseille, oui c’est une prison mythique dont tout le monde connait l’existence mais c’est aussi une prison complètement délabrée et indigne, où, comme partout, les hommes sont entassés sans grand respect de leur qualité d’êtres humains.
La réalisation n’a pas cherché à comprendre les raisons qui ont conduit ces hommes dans cet endroit, ni à faire œuvre moralisatrice. On ne suit pas l’histoire particulière de l’un ou l’autre de ces condamnés, mais simplement leur vie quotidienne avec leurs petites habitudes, leurs tracas, leurs joies et leurs tristesses.
Pas non plus de personnel pénitentiaire malveillant ou sadique, non, bien au contraire, on voit des surveillants (plutôt des surveillantes en fait) qui remplissent leurs fonctions avec le plus d’humanité possible. Ce qui est finalement montré ce sont les conditions architecturales de la détention, le manque d’espace criant, le manque d’hygiène, l’absence d’intimité, et donc la promiscuité constante et embarrassante.
Au final, les personnages sont tous très beaux, et ….c’est monsieur tout le monde. Il n’y a guère de différence entre ces hommes là et les autres, à l’extérieur, hors les murs et les barreaux. Multi-récidiviste ou primo-délinquant, chacun vit à sa façon la privation de liberté, entre ennui, solitude et angoisse. Ce qui est constant, c'est le sentiment de totale absurdité du système qui enferme sans se préoccuper de réhabiliter, et donc qui persiste dans l'erreur. Les hommes vont et viennent dans et hors de la prison et on a vraiment l'impression que cela ne sert à rien.
Le film, présenté à Cannes, est soutenu par l’ACID, une association créée en 1992 pour aider à la diffusion de films qui ne sont pas grand public, association qui revendique l'inscription du cinéma indépendant dans l'action culturelle de proximité, et, à ce titre, encourage la présence des réalisateurs lors des projections dans le réseau des cinémas accueillants.
C’est pourquoi nous avons pu échanger avec la réalisatrice Alice Odiot.
Et c’est à l’occasion de la discussion, que j’ai pu découvrir les cinéastes qui l’avaient inspirée.
L’un d’entre eux est considéré comme le plus grand cinéaste américain. Son nom est Frédérick WISEMAN et il a aujourd’hui 90 ans. « Fred Wiseman est documentariste. Ses films, qui traitent a priori de sujets de société, institutionnels ou politiques, ne sont pas tous diffusés en France. Et quoiqu’il en ait réalisé 44, soit à peu près autant que Woody Allen, son renom reste confidentiel, cantonné aux cinéphiles pointus ainsi qu’à ses propres confrères, qui lui empruntent souvent son style et son esprit pour donner une assise à leurs œuvres grand public. David Simon, créateur de la série télé The Wire, régulièrement classée comme la meilleure, avoue qu’il s’est inspiré de Wiseman pour sa vision impassible et exhaustive de la vie urbaine. Dans ses documentaires, souvent associés au “cinéma vérité” ou au “cinéma direct”, deux termes qu’il récuse, Wiseman s’efforce de scruter à chaque fois une institution ou une corporation, en intervenant le moins possible, en se refusant au commentaire et à la musique. Il considère que malgré ses efforts, l’objectivité reste impossible au cinéma, car même le cadre et le montage ne sont pas innocents. De plus, au fil des ans son style a évolué. » Les INROCKS 27/03/2016.
Et effectivement l’un de ses films les plus remarquables a été tourné en 1967 et a été interdit aux US jusqu’en 1992. Il s’agit de Titicut Follies, un documentaire sur la vie d’un hôpital pour malades mentaux criminels, Bridgewater, dans le Massachussetts.
L’extrait que j’en ai vu montre un prisonnier venant défendre sa cause (il veut sortir de l’hôpital prison pour une prison normale) et qui est débouté par un collège d’experts psychiatres, au comportement distancié et déshumanisé. Les experts se servent de la véhémence (légitime) du « malade », pour augmenter les doses de tranquillisants à lui administrer. Terrifiante interrogation de la relation d’autorité.
Le second, c’est Roberto Minervini qui a réalisé en 2015, un film « The Other Side » sur un territoire du sud des USA (la Louisiane), où vivent des marginaux à la limite entre l’illégalité et l’anarchie, oubliés de tous. Des vétérans, des drogués qui cherchent dans l’amour une issue pour se sortir de la dépendance, des anciens combattants qui restent en guerre imaginaire contre le monde entier, des femmes égarées, des vieux qui s’accrochent… L’extrait que j’ai vu est très impressionnant et montre une Amérique toute nue, celle des laissés pour compte, dans le plus le plus riche du monde.
J’ai bien envie de creuser ma curiosité vis-à-vis de ces deux cinéastes.