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TRANSHUMANISME : UN AVENIR 2.0 OU LE RETOUR A DE VIEILLES LUBIES

TRANSHUMANISME : UN AVENIR 2.0 OU LE RETOUR A DE VIEILLES LUBIES

Il est brillant, pluridiplômé, docteur en médecine, mais aussi diplômé de Sciences Po, HEC et de l’ENA. Un surdoué. Qui dit mieux ? Veut-il devenir un nouveau Pic de la Mirandole ? C’est un grand communicant aussi, il ne dédaigne pas les conférences ni même les médias. Et il n’hésite pas à se montrer provocant pour mieux faire passer ses convictions ou ses messages.

Je m’intéresse à lui depuis plusieurs années. Non pas que je sois béat d’admiration devant ce genre de grand esprit savant et de surcroît pluridisciplinaire, mais j’ai apprécié son souci de faire connaître ses réflexions et ses intuitions avec un vrai talent pédagogique. Il a créé il y a vingt ans le site internet « Doctissimo » (qu’il a revendu depuis en empochant une belle somme) et il a publié des ouvrages de grande valeur pédagogique, à commencer par « La défaite du cancer » il y a cinq ans, ainsi que des investigations passionnantes sur les perspectives du développement des recherches génétiques et aussi de l’intelligence artificielle. Il est un peu imbu de lui-même, me disais-je, mais au moins il veut partager ses savoirs et ses questionnements avec le plus grand nombre.

Vous l’aurez reconnu, c’est Laurent Alexandre, qui est devenu un « gourou » ou un « pionnier », c’est selon, des thèses dites « transhumanistes ».

Il y a quelques semaines, il a affronté « bille en tête » l’actualité dans une conférence donnée à l’Ecole Polytechnique à Saclay. Des extraits circulent sur les réseaux sociaux, vous n’aurez pas de mal à les trouver. En effet, « il y est allé très fort », je résume :

   « - Nous sommes à l’ère du capitalisme cognitif,

    - Vous, les scientifiques et les intellectuels, vous allez en comprendre les enjeux, vous allez être les dieux, vous allez vivre un âge d’or,

    - Les autres vont devenir des inutiles et des substituables, les gilets jaunes sont la première manifestation de ce gap intellectuel,

    - L’intelligence artificielle lamine les gilets jaunes et la petite classe moyenne avant d’être capable de de guérir le cancer,

    - La crise des gilets jaunes est là pour cent ans, et vous la résoudrez (hum, ce n’est pas très mobilisateur pour la génération actuelle de « petits génies » !) » 

Propos scandaleux, inadmissibles, inacceptables, et qui jettent de l’huile sur le feu : oui, mais au-delà de cette première réaction je cherche à comprendre, je ne veux pas me contenter de devenir un « déçu »de Laurent Alexandre.

 Première question : ce n’est pas la première fois qu’il est excessif, est-ce qu’il ne « surjoue » pas ses thèses, est-ce qu’il y croit vraiment, ne conserve-t-il pas quelques doses d’humanisme et de sens de la solidarité malgré cette anticipation-choc de la société 2.0 ou 3.0 qui nous attend. Après tout, il cite aussi Yuval Harari, qui est considéré comme un humaniste. Mais vu la conviction et la passion de ses propos, je crains qu’il ne soit vraiment sincère.

Deuxième question : comment lui répondre ? Ses idées sont-elles caractéristiques de notre époque, et si originales qu’il serait difficile de s’y opposer ?

Non, elles ne sont pas si originales, ni pour un médecin, ni pour un auditoire de Polytechniciens.

Côté médecine, il me fait penser à Alexis Carrel(1873-1944), un grand médecin français, Prix Nobel de physiologie et médecine en 1912, rendu célèbre par son expérience du cœur de poulet plongé dans un liquide nutritif et battant in vitro pendant des décennies après la mort du poulet. Il publia en 1935 un best-seller, « L’homme cet inconnu » dans lequel il développait des thèses eugénistes : les gens bien portants et éduqués doivent éviter de se lier à des malades et plus encore, il préconisait « la restauration de l’homme dans l’harmonie de ses activités physiologiques et mentales ». En clair, il n’avait pas pris part directement aux crimes nazis, mais ses thèses justifiaient les « expériences » d’élimination des faibles, des malades mentaux, des représentants des « races inférieures ». Une horreur !  Il termina sa carrière dans une fonction créée sur mesure en 1941 par le maréchal Pétain sous Vichy : « Régent » de la « Fondation française pour l’étude des problèmes humains ». La Libération interrompit cette brillante carrière, et il mourut quelques mois plus tard en novembre 1944.

A noter qu’il fallut attendre 1996 pour que la Faculté de médecine de l’Université de Lyon1, qui portait son nom, soit rebaptisée du nom de Laennec.

Côté polytechniciens, ceux que j’ai connus m’ont appris que ce genre de discours sur « la race des chefs » n’était pas nouveau et que seuls y croyaient ceux qui voulaient bien y croire, heureusement loin de faire l’unanimité. Mais certains contemporains d’Alexis Carrel (même si, à ma connaissance, il n’a jamais fait de discours devant un auditoire de Polytechniciens) ont développé des thèses comparables dans les années 30 : il fallait régénérer la France, la classe politique en était incapable et devait céder la place à un gouvernement de technocrates. Tout naturellement, certains sont devenus ministres des gouvernements de Vichy, et non des moindres : Jean Berthelot, ministre des Travaux Publics, Jean Bichelonne, ministre de l’industrie, partisan jusqu’à la fin d’une coopération renforcée et d’une intégration avec l’Allemagne.

Mais n’oublions pas que de très nombreux Polytechniciens sont entrés dans la Résistance, je citerai l’un des plus emblématiques, André Boulloche.

Rien de nouveau sous le soleil, ou pas grand-chose. Ne nous laissons pas obnubiler par le rôle donné, à tort, aux nouvelles technologies. Est-ce que l’histoire se répète ? Non, bien sûr. Mais il faut prendre Laurent Alexandre au sérieux. A l’heure où l’on débat du rôle des élites, je vois au moins trois idées à retenir pour nous éviter de rentrer dans un futur sinistre (du moins je le vois comme tel) qui serait dominé par une intelligence artificielle dictatoriale.

Tout d’abord nul n’est entièrement conditionné par ses origines, sa classe sociale, sa plus ou moins grande réussite dans ses études. C’est la diversité même des personnes, de leur vie, qui montre combien ce pseudo-déterminisme est erroné.

Ensuite nul ne devrait prétendre s’être « fait soi-même ». Bien sûr nous croisons des individus qui prétendent avoir réussi à la force du poignet, par leur travail et leur succès intellectuel ou artistique. Ne les croyez pas, ils se vantent ou bien ils s’illusionnent : même ceux-ci doivent beaucoup à leurs parents, leurs proches, leurs enseignants, leurs réseaux d’influence et les aides de toute sorte.

Enfin, nul ne devrait se contenter de vivre dans « l’entre soi » de son cercle proche de relations, avec les mêmes conditions de vie, et partageant le même type de divertissements, de rencontres, de voyages, et aussi d’idées et de préjugés.

De tous ces préceptes, de toutes ces « lignes directrices » de vie, cette dernière est peut-être la plus difficile à remplir. Ce n’est pas le progrès des sciences ni même l’intelligence artificielle qui dressent des obstacles, c’est l’évolution même de notre vie sociale. Au niveau de notre cadre de vie : les quartiers où nous habitons sont de plus en plus « typés » (pour les riches, les classes moyennes, les pauvres), connaissent de moins en moins la mixité. Et nous subissons l’envahissement des réseaux sociaux qui nous font rechercher tout ce qui nous plaît, nous intéresse et ressemble à ce que nous voudrions lire ou entendre. Raison de plus pour résister devant cette uniformisation des systèmes de pensée.

Bref, nul ne peut être remplacé par un système d’intelligence artificielle, algorithmique, neuronal ou tout ce que l’on veut car nul ne peut être réduit à un type ou un prototype d’individu substituable ou inutiles comme le prétend Laurent Alexandre. Il faut, malgré les difficultés et les apparences, s’attacher à démentir les thèses de Laurent Alexandre. C’est un combat prioritaire.

signé VIEUZIBOU

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