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Inquiéter les marchés

Inquiéter les marchés

  Il faut rassurer les marchés, il faut rassurer les marchés, entend-on répéter à longueur de journée, en ces temps (économiques) troublés. Et revoilà, sur le devant de la scène, ces fameux marchés, aussi anonymes que menaçants, et surtout investis d’un rôle déterminant, voire dotés d’un pouvoir exorbitant, qui s’impose  même aux responsables politiques : « There is no alternative », « TINA », ne cessait de proclamer Margaret Thatcher.

C’est le cas de l’Italie qui m’intéresse. Depuis quelques semaines, il semble que notre grand voisin méditerranéen soit devenu le cauchemar des marchés : « L’Italie fait trembler l’Europe et les marchés », « Budget 2019 : l’Italie populiste provoque Bruxelles ». « Bruxelles se prépare au clash avec l’Italie. Certains comptent sur les marchés pour faire plier l’exécutif italien ». Et voilà les marchés érigés en commission disciplinaire !

Pourquoi cette fébrilité ? Je ne vais pas vous exposer tous les paramètres du débat économique et budgétaire entre les instances européennes et l’Italie, ils sont largement développés dans les médias, je voudrais y voir plus clair en essayant d’être concret et de comprendre les vraies préoccupations des Italiens.

Tout d’abord, ce qui m’inquiète vraiment depuis l’arrivée au printemps de ce nouveau gouvernement italien, ce n’est pas du tout la situation des marchés. C’est l’attitude de ses représentants, surtout ceux de la Ligue, face aux immigrés, aux étrangers, à ceux qui sont de religion ou de couleur de peau différentes ; c’est un risque pour la paix civile et même pour la démocratie en Italie. En deux mois, dès leur investiture, on a déploré une dizaine d’actes violents, racistes et anti-immigrés. L’athlète noire italienne Daisy Osakue a été agressée en pleine rue à Turin, le pire étant que son agresseur prétend ne pas l’avoir reconnue et avoir visé « une personne quelconque à la peau noire ». Mais le ministre de l’intérieur Matteo Salvini a rejeté toute responsabilité et ajouté : « Avoir beaucoup d’ennemis, c’est beaucoup d’honneur ». Citation de…. Benito Mussolini ! Plus généralement, le nombre d’actes racistes a augmenté de 10% au premier semestre 2018 par rapport à 2017.

Si la recrudescence de ces manifestations de rejet et de violence est une triste réalité, la démocratie italienne est-elle pour autant menacée par des gouvernants qui se réfèrent aussi volontiers au « Duce » fasciste ? Ce n’est pas actuellement le cas. Après la tragédie de la seconde guerre mondiale, les Italiens, comme les Allemands, ont construit une démocratie parlementaire solide, vivante, avec bien sûr des dérives telles que la corruption. La presse, malgré l’influence néfaste des affairistes tels que Silvio Berlusconi, reste libre ; Et les institutions judiciaires sont puissantes, respectées et courageuses comme elles l’ont montré et le montrent encore dans la lutte contre la mafia. 

Voilà ce qui me préoccupe vraiment et me rend vigilant : les risques pour la paix civile et la démocratie, pas les marchés.

On ne peut pas opposer les marchés à un gouvernement démocratiquement issu des partis vainqueurs des élections. Quoiqu’on en pense, les sondages montrent qu’il conserve une popularité élevée.

On peut m’objecter que les marchés sont supposés refléter la situation de l’économie et que la démocratie est menacée si le peuple souffre d’une crise économique et sociale.

Les nouveaux gouvernants italiens auraient-ils une politique économique et sociale pire que leurs prédécesseurs ? Donnons la parole à un universitaire opposant de la première heure à la politique anti-immigrés, donc peu suspect de complaisance pour le gouvernement actuel. Il s’agit d’Alfio Mastropaolo, professeur de sciences politiques à l’Université de Turin : « les réformes des gouvernements précédents, de Monti et Renzi, du parti démocrate, ont accentué la précarité. Conformément aux orientations de l’Europe libérale, la réforme du travail (« Jobs Act »), qui permet désormais aux entreprises de licencier sans cause réelle et justifiée, n’a eu aucun effet sur le chômage, qui atteint 11%, voire 35% chez les jeunes. La loi Fornero sur les retraites a été tout aussi dramatique. Tout cela s’est fait dans le silence ». 

L’Italie est le seul grand pays européen qui n’a pas retrouvé le niveau de son PIB de 2008. (Nous on y est arrivé, mais tout juste). La pauvreté progresse. La situation des jeunes demandeurs d’emploi, très diplômés ou non, est dramatique. Ils doivent rentrer dans la vie active avec, pendant plusieurs années, des stages non rémunérés puis des salaires de misère. Les écarts de richesse et de développement entre le Nord et le Sud n’ont pas été résorbés, bien au contraire. Ce n’est pas par hasard que les responsables de la Ligue ont abandonné la défense exclusive du Nord, ce qui leur a permis de recueillir de nombreuses voix dans le Sud.

Rien ne prouve que la nouvelle politique économique sera pire pour le peuple italien. D’ailleurs, l’idée d’un revenu minimum garanti (sous certaines conditions) intéresse beaucoup les économistes, elle a été mise en débat lors de la présidentielle française de 2017 par le candidat Benoît Hamon. Il faudra juger aux résultats.

Je voudrais enfin donner une vision d’ensemble sur la situation de l’Italie par rapport à ses grands voisins européens, nous les Français en premier lieu. Remarque préalable : les Italiens ont sur nous un regard très attentif, souvent passionné, mais contrasté : ils s’intéressent beaucoup à notre situation politique, à notre vie culturelle, à nos débats, beaucoup plus que nous vis-à-vis d’eux. Mais ils ressentent mal cette dissymétrie et nous trouvent trop souvent condescendants et donneurs de leçon avec eux, et d’autant plus que nous connaissons mal leur situation.

Voyons voir si nous sommes bien placés pour donner des leçons.

Chacun aura noté que notre déficit budgétaire prévisionnel pour 2019 reste supérieur à celui de l’Italie : 2,8% du Produit intérieur brut (PIB) contre 2,4% en Italie. Oui, dira-t-on, mais la tendance n’est pas la même (pourtant ça augmente aussi par rapport à l’année précédente en France) et surtout la dette italienne est énorme, rendez-vous compte, près de 10 fois la dette de la Grèce.

La dette italienne publique, selon les chiffres officiels de l’Union Européenne (statistiques publiées en avril 2018 par Eurostat), s’élève à 2263 milliards d’euros. Non loin derrière, on trouve 3 autres grands pays : La France avec 2218, l’Allemagne avec 2093 et le Royaume Uni avec 2093. La Grèce, c’est 317 milliards. En euros par habitant, cela représente en Italie 37351, c’est plus élevé que dans les trois autres grands pays, mais notons qu’en Irlande, ce pays si bien considéré par les marchés, c’est 42073 euros/habitant et 39833 en Belgique.

Ce sont justement ces 4 grands pays qui apportent les plus fortes contributions au budget européen, je vous dispense des chiffres. Et ils sont tous les 4 contributeurs nets, déduction faite des subsides reçus de l’Europe, y compris l’Italie : le solde des contributions ( c'est à dire ce qui est payé de plus que ce qui est reçu) s’élève à 12,9 milliards d’euros pour l’Allemagne, 8,2 pour la France, 5,6 pour le Royaume Uni et 2,3 pour l’Italie. L’Italie n’a pas démérité au sein de l’Union Européenne.

Je pense donc qu’il serait malvenu de notre part, et de la part de l’Europe, de donner des leçons de politique économique et budgétaire à l’Italie et, pire encore, de laisser entendre que les marchés seront in fine les juges de la situation. Les mêmes marchés qui s’apprêtent à saluer la victoire d’un candidat au Brésil qui, lui, est une menace directe pour la démocratie.

Signé VIEUZIBOU

                                                                                

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