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Britannicus (Racine, Stéphane Braunschweig au Français)

Britannicus (Racine, Stéphane Braunschweig au Français)

C’est la deuxième fois que je vois la pièce dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig, à la Comédie française.

La salle était comble et on était un lundi soir. Un public  très attentif, presque recueilli. Car la mise en scène est minimaliste, et que Braunschweig se focalise, à juste titre, à mon avis, sur le texte et le jeu des acteurs.

Les acteurs :

Il y a l’incomparable Dominique Blanc dans le rôle d’Agrippine, qui joue à la perfection, une veuve noire à la fois subtile et vénéneuse. C’est elle le rôle-titre dans cette mise en scène et je dirais qu’il s’agit moins de la naissance d’un monstre (Néron)  que de la chute d’une manipulatrice.

Les autres acteurs sont :

Clotilde de Bayser : Albine
Laurent Stocker : Néron (un Néron un peu poupin, mais qui joue d’autant plus de la cruauté qu’on ne le perçoit pas comme une force brutale)
Hervé Pierre : Burrhus (excellent Burrhus, qui tente vainement de rester l’éducateur qui redresse les vices du monstre)
Stéphane Varupenne : Britannicus (beau, attendrissant, mais lisse)
Georgia Scalliet : Junie (peut-être un peu trop tendre)
Benjamin Lavernhe : Narcisse (bien joué, dans la mesure)

La mise en scène

Il s’agit d’une table de conseil d’administration. De quelques portes qui s’ouvrent en enfilade, comme une sorte de labyrinthe où se cache le monstre. Les acteurs sont en complet/veston, on pourrait être dans une tour de la Défense. C’est froid, impersonnel, c’est un lieu qu’on comprend tout de suite comme s’il appartenait à ces lieux universels et intemporels que la mondialisation a placés partout autour de nous : aéroports, banques, halls d’entrée des multinationales, salles de réunion…

On comprend qu’il s’agit d’un lieu de pouvoir, un lieu où se décident les questions économiques ou politiques qui ne sont pas débattues, qui ne relèvent pas de la « démocratie ».

L’histoire

Racine avait 30 ans quand il a écrit Britannicus, Corneille était « vieux », il avait 60 ans. Dasn sa préface au Duc de Chevreuse, Racine explique qu’il s’est inspiré de Tacite et Suétone, et qu’il y  a « beaucoup travaillé ».

Pour lui Néron est à la croisée des chemins, jusqu’ici il s’est montré vertueux mais il cachait sa vraie nature sous de fallacieuses caresses :  « factus natura velare odium fallacibus blanditiis ».

La tragédie qui se déroule sous nos yeux nous montre l’avènement d’un tyran, ce que confirme Agrippine dès les premiers vers :

« Agrippine :

L'impatient Néron cesse de se contraindre ;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre. »

Son premier acte de « désobéissance » aux règles morales, sa première entorse à la vertu c’est d’enlever la fiancée de son demi-frère (et héritier légitime du trône de Claudius en lieu et place de Néron).

"Néron

Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornements, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.

J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler."

Le comédien qui joue Néron, Laurent Stocker a, je trouve, un peu raté cette fameuse phrase. Il y manque de la cruauté, de la perversité, bref un peu plus de sadisme. Cependant dès l’acte II, scène1, où Néron apparaît en position de force, prend de l'assurance, et se détache de plus en plus de sa mère, l’acteur, avec sa même bouille un peu ronde et son corps râblé, devient de plus en plus inquiétant. Au moins on l’imagine sortir vraiment des griffes de sa mère, au plus on est dérouté par son arrogance et sa soif de pouvoir, ses mots brutaux, ses décisions coupantes.  

Les héros de Racine sont toujours tourmentés et souvent pétris de folies et de paradoxes. Mais plus que dans d’autres, dans Britannicus, à cause justement de la passion du pouvoir qui les anime dans ces lieux où il faut « faire sa cour » ou être humilié, les personnages sont doubles, jouent plusieurs jeux à la fois. Les innocents sont pris dans les mailles du filet de façon implacable, comme le dit bien Junie :

"Absente de la cour, je n'ai pas dû penser,
Seigneur, qu'en l'art de feindre il fallût m'exercer".

Or le pouvoir totalitaire a justement pour fondement ,  l’intrusion dans la vie secrète, intime et privée des autres. Néron veut contrôler même les émotions cachées de ceux qu’il veut dominer.

« Vous n'aurez point pour moi de langages secrets:
J'entendrai des regards que vous croirez muets,
Et sa perte sera l'infaillible salaire
D'un geste ou d'un soupir échappé pour lui plaire. »

Dominique Blanc en Agrippine, a tout fait pour conserver la main mise sur son fils qui lui doit tout. Elle s’est prévu même une porte de sortie avec la présence de l’héritier Britannicus qu’elle protège, au cas où. Elle a vraiment tout organisé, tout décidé, et, normalement, sans elle, Néron n’est rien. Elle croit donc pouvoir conserver à la fois sa position et son ascendant sur son fils. Elle a senti le vent du boulet quand son fils, lui désobéissant, choisit de s’accaparer Junie :

« Quoi? tu ne vois donc pas jusqu'où l'on me ravale,
Albine? C'est à moi qu'on donne une rivale. »

Outre qu’à l’époque on ne connaissait pas la psychanalyse et ce que cela révèle de la part d’une mère, Agrippine vise juste tout de même. C’est son pouvoir qui est menacé, c’est son emprise sur son fils qui va disparaitre, c’est la liberté que prend Néron qui va complètement ruiner la sienne. A ce moment, elle devient l’alliée objective de Britannicus et constate :

« Notre salut dépend de notre intelligence. »

Dominique Blanc domine, résiste, elle porte un costume noir, sévère, un pantalon, comme une executive woman, et même si elle pressent sa disgrâce, elle a suffisamment d’orgueil pour ne laisser rien paraître de ses émotions. Agrippine, en Dominique Blanc est rectiligne, souveraine, presqu’hautaine. Elle fait jouer la reconnaissance du fils envers sa mère, pas ses sentiments qui sont pourtant totalement contenus dans tout ce qu’elle a accompli pour lui. Car comment expliquer autrement qu’elle ait franchi tant d’obstacles, commis tant de forfaits, manœuvré avec tant de talent ?

Mais comme le dit Néron (et j’adore ce vers pour sa lucidité et pour le sens de maître et maîtresse en français, maîtresse n’étant en aucun cas le féminin de maître) :

« Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse. »

La pièce s’achève sur une vision hallucinée du  cadavre de Britannicus, auprès duquel Néron vient signer son crime, s’asseyant tranquillement et dans un geste qui confirme sa folie, au chevet du corps dénudé.

La dernière phrase de Burrhus montre à la fois l’aveuglement et le doute, l’impensable, l’impossibilité de penser la monstruosité que tous se sont chargés de fabriquer malgré eux:

« Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes ».

Britannicus (Racine, Stéphane Braunschweig au Français)
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