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J'ai fini par parler

J'ai fini par parler

(Ce post est une fiction)

Au début, c'était bien. J’étais bien contente d’être là. J’avais mal mais ça allait passer. J’étais dans le bon service médical, le médecin était patient, tout ça ne serait plus qu’un épisode de plus, une traversée un peu agitée.

Au travail aussi ça allait bien, je m’étais tellement impliquée, engagée dans ce nouveau travail, une consécration pour moi, que tout ne pouvait qu'être bénéfique.  J’étais devenue cadre pour la première fois, j’avais une équipe de 6 personnes, c’était un honneur avant d’être une responsabilité. La maladie s’est déclarée deux ans après avoir pris mes nouvelles fonctions, trop tôt pour que je puisse avoir fait mes preuves.

Et pourtant tous mes « clients » étaient contents. Il y en avait même qu’ils s’étaient déplacés pour me féliciter : « Tiens je suis passé vous voir, c’est vous qui avez tout remis en route. Enfin, nos demandes sont entendues, votre programme de formation est absolument excellent, réactif et adapté ». Cela me faisait chaud au cœur et j’adorais mon travail. Ma petite équipe m’avait accueillie un peu fraichement, mais c’était couru d’avance qu'elle ne sauteraient pas de joie, les filles de mon équipe aimaient bien mon prédécesseur. En plus les femmes ne sont pas très tendres avec leurs semblables.

Je n’ai jamais fait le lien entre les moqueries que je surprenais parfois, -des petites piques, des humiliations (mais je suis bien trop tendre et sensible, tout m’entaille et se grave dans ma peau) - et la maladie qui s’était déclenchée après une longue période de fatigue. J’avais tendance à travailler un peu trop, un peu trop tard, un peu trop vite. Mais ça, c’était pour prouver qu’on pouvait, malgré les restrictions d’effectifs, rendre un service de qualité et améliorer notre offre. Et puis j’aime bien être active, agir sur le monde, le transformer, j’aime bien être fière de ce que j’accomplis.

Et je m’étais tue, je n’avais bien sûr pas parlé de la maladie, ça ne concernait pas les collègues, ni les collaboratrices, je n’allais pas faire la rabat-joie.

Il ne fallait pas penser, il fallait rester zen, malgré les moqueries, malgré le peu d’intérêt que la direction semblait porter à mon travail. C’est certain, là-haut , l'administration devait penser que puisque les clients étaient satisfaits, ce n’était pas la peine de se préoccuper de moi et de mon équipe.
Et moi, je m’étais habituée aux choses qui me mettaient mal à l'aise. Les jugements, les moqueries, les gestes un peu brusques... Je m’étais habituée à tout ça, parce qu'au fond, mon équipe était sympa, tout le monde se connaissait depuis des lustres, c'était un peu comme une grande famille. Et puis, il faut avouer que certains de nos clients (les stagiaires) étaient parfois difficiles quand même, alors rire un peu entre nous, ça détendait, ça permettait de supporter les conditions de travail et les horaires à rallonge. Alors je me taisais. J’ai même essayé de créer une atmosphère encore plus conviviale et j’ai organisé des pots avec ma petite équipe. Soit le matin au petit déjeuner, soit vers quatre heures. Mais je ne tombais jamais bien : il manquait toujours l’une ou l’autre et les apartés se succédaient. J’aurais tellement voulu que nous soyons un groupe uni sans ricanements bizarres. Parfois mes gâteaux étaient trop cuits, parfois pas assez, parfois ils étaient trop sucrés, et autres remarques. Mais peut-être que mes collaboratrices n'appréciaient tout simplement pas ces petites réunions.

Un jour j’ai même entendu : « On aura sa peau », et je n’ai pas bien su distinguer à qui cela s’adressait.

Et au bout de quelque temps, je n’ai plus pu me taire.  Parce que ça faisait trop de choses, parce je ne pouvais plus fermer les yeux et que ma conscience me disait d’en parler.

Et j’ai essayé d’en parler à mes alter egos. Doucement. Timidement. Mais à chaque fois, la réponse était la même. 
"Tu te fais des idées" 
"Ça n'a rien de méchant" 
"C'est le boulot qui veut ça" 

Côté médecins, personne ne voulait entendre. Ils m’ont dit : si vous avez des problèmes, faites-vous suivre.  En attendant on vous conseille la chimio, puis l’opération, puis la chimio.

Après ça, J’ai tenté de demander un temps partiel, pour me soigner, enfin un aménagement d’horaires. Mais j’ai été convoquée dans un grand bureau, et il a fallu tout raconter en détail. Enfin, surtout la maladie, parce que les menaces, les humiliations, les insultes, ça je ne pouvais pas le révéler. La directrice a dit que le temps partiel me serait payé partiellement. Je n’avais pas le droit de travailler à la maison parce que mon installation électrique n’était peut-être pas conforme. Il fallait reprendre à plein temps car je n’avais pas assez pour payer mes emprunts si je ne disposais plus que d’un demi salaire.

J’ai demandé à rencontrer la psychologue du travail. Elle m’a affirmé qu’il ne fallait pas se mettre dans cet état pour une question de travail. D’après elle, ce n’était pas normal de tomber malade à cause du travail, il fallait se rendre à l’évidence, je devais avoir une autre vie et ne pas m’investir « personnellement » dans mon travail. J’ai compris qu’il fallait être bien folle pour souffrir des relations professionnelles, même si je les considérais comme dégradantes. Quoique les autres pensent, je ne pouvais rien y faire, et je devais affronter mon travail avec courage. Que mes employées se fichent de moi parce que j’avais des faiblesses physiques avec ma maladie, n’était pas une raison pour être dépressive. Que mes chefs ne veuillent pas comprendre que je n’étais pas très en forme et que j’aurais eu besoin de leur soutien, c’était normal, ils ne faisaient qu’appliquer les règlements.

J’ai donc continué à travailler dans cette ambiance qui me faisait mal partout. Mais j’avais parlé, et les choses s’étaient répandues malgré tout.

Petit à petit, j’ai senti comme une gêne autour de moi. Des silences, des regards en coin, des conversations qui s'interrompaient quand j’arrivais. Et des allusions, plus ou moins fines, plus ou moins fréquentes.

Une ancienne collègue m’a contactée et lui a dit que tout le monde savait ce j’avais fait : j’avais parlé. J’ai eu très peur. Qu'allait-il se passer maintenant?

J’ai suivi le traitement chimio et j’ai assez bien supporté au début. J’ai perdu mes cheveux, mais le reste s’est plutôt bien passé. Un vendredi j’ai vomi dans les toilettes du rez-de- chaussée, avant de reprendre ma voiture au parking. J’ai d’ailleurs cru que mon cœur allait s’arrêter tellement c’était violent. Personne ne m’a vue sortir toute rouge des toilettes, les cheveux (la perruque) en bataille. Il n’y a que dans les films que les vomissements sont élégants et ne tachent rien. Moi j’étais puante et sale. J’ai vite pris l’ascenseur pour le parking en remerciant le ciel que personne ne partage l’ascenseur avec moi.

Malgré toutes mes précautions, les chuchotements au travail ont continué.

Heureusement j’ai rencontré une vraie personne, une psychologue qui n’avait pas que ça à faire, mais qui m’a enfin comprise. Elle seule m’a « considérée », elle seule a su trouver les mots justes, ne pas me rabaisser encore, me rendre ma dignité.

Elle seule a eu l'intelligence du cœur pour voir ce qui se passait et dans quelle toile d’araignée j’étais en train de me perdre.

Mais qu’est-ce que je pouvais faire avec mon travail ?

Rien apparemment, ma copine psychologue pensait que justement c’était parce que je réussissais bien avec les clients qu’on me faisait subir ces moqueries et cet isolement.


Je me suis imaginée pendue dans le grand hall, car il y a des réverbères qui s'alignent à l'entrée et qui pourraient bien accueillir une corde. Mais non, finalement, je ne savais pas bien choisir. Je me suis contentée des séances de chimiothérapie, comme une punition, comme si j’étais responsable de ce qui m’arrivait, parce que j’étais trop naïve, trop gentille aussi, et que ça me changeait de préoccupations.

Un jour, la direction a trouvé que j’avais un peu trop d’absences, et de faiblesses, que je ne pouvais plus continuer à animer mon équipe. La direction a donc pris la décision pour mon BIEN, et je me suis retrouvée aux archives. Ce qui est drôle c’est que, dans mon sous-sol, je me sente aussi bien. Vrai de vrai, me voilà dans le silence et dans la quiétude des vieux papiers, avec quelques souris en prime, et je range dans des cartons que je ressors à la demande (électronique la demande).

Même si plus personne ne m’adresse la parole, (ce que je ne comprends pas  d’ailleurs), je me sens plus libre, allez donc savoir !

Le jour où je ne serai plus là, personne ne s’en apercevra, mais bien sûr, chers.ères lecteurs.trices que je ne me suiciderai pas, j’irai faire la java sur les quais de Seine, je danserai aux lampions, je pourrai enfin vivre sans calendrier ni obligations. Croyez moi, ce sera la belle vie!

A votre bonne santé à tous !

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P
J'ai lu....
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