L’hospitalisation sous contrainte est plus fréquente qu’on ne le croit. Il s’agit d’une mesure administrative demandée par un tiers, un maire ou un représentant de l’Etat. La procédure s’appuie sur un certificat médical et prévoit, depuis septembre 2013, que le patient soit entendu par un juge avant 12 jours pour confirmer ou non son placement. Des procédures d’urgence viennent compléter le dispositif, procédures qui bien sûr allègent le processus du placement.
Raymond Depardon a posé des caméras de type smartphone dans la salle d’audience où les malades se trouvent confrontés aux juges, accompagnés de leurs avocats.
Cette comparution, même si elle n’est pas tenue dans un lieu comme un tribunal, est tout de même un acte fort, où, au final, il s’agit de la liberté de quelqu’un en situation de grande fragilité. Il y a bien là un enjeu de pouvoir cruel, car le malade, même très bien respecté, n’est écouté que pour la forme, la sentence médicale prenant le pas sur tous les avis que peuvent bien proférer ces pauvres hères.
Alors le moins qu’on puisse dire, c’est que l’entrevue est expéditive.
Une dame souffrant de harcèlement au travail ( on apprend qu’elle est employée d’Orange) est considérée comme victime d’un délire de persécution ( !). Un sans-papiers d’origine angolaise (mais le juge précise : « bien sûr ce n’est pas parce que vous êtes angolais que vous vous trouvez là »), a dégringolé depuis des années dans des actes de délinquance, avant d’apprendre qu’il est schizophrène. Un jeune homme de 20 ans (20 ans !) a été conduit là car il est hanté par le contexte du terrorisme musulman (il dit lui-même « qu’il pense que ces musulmans terroristes appartiennent à une secte, et qu’il veut protéger les siens contre ces fanatiques, qui ne sont pas de vrais musulmans- contrairement à lui »). Il tient à peine les yeux ouverts tant il est abruti de médicaments. Une jeune femme a tenté de se couper les veines car elle dit avoir été violée plusieurs fois (« J’ai fait ça pour ne plus sentir le viol »). Une autre, enfant de la DDASS, à qui on a retiré son bébé, est placée parce qu’elle crève de solitude, et elle ne comprend pas pourquoi elle n’aurait pas le droit de se suicider.
On ne sait pas ce qui est vrai ou pas et nous ne pouvons pas en juger, d’ailleurs les magistrats non plus qui avouent eux-mêmes ne pas pouvoir se prononcer sur la maladie mentale (et donc laisser ce soin aux médecins) et qui s’en tiennent au respect des procédures. Au fond il s’agit d’une sorte de mystification, les droits des patients étant formellement respectés mais leur parole absolument jamais écoutée.
La 1ere question est rituellement adressée au patient « Que pensez-vous de votre hospitalisation ? », puis tout s’enchaine rapidement et, dans la dizaine de cas présentés, le magistrat prend une décision conforme à celle du médecin et qui est de prolonger l’hospitalisation. Aucun des arguments avancé par le patient n'est entendu. Maintien de la mesure donc...
Celle-ci pour le bien même du malade bien sûr. Or la femme harcelée à son travail a été, elle le raconte, maîtrisée à son arrivée par 12 soignants qui l’ont attachée (c’est la procédure, une observation de 72 heures est prévue). Tous les autres aussi ont été attachés, ligotés à des lits scellés au sol ! Était ce bien nécessaire?
Et ils sont enfermés en « salle d’apaisement » d’où on les entend hurler à n’en plus finir.
J’ai eu l’impression que beaucoup de ces malades étaient malades des difficultés de la vie, et qu’en gros, ils étaient placés, même pour les plus délirants, à défaut d’autre solution. Plus d’attention, plus de solidarité, plus de liens sociaux et ces gens, pas tous, mais quand même certains, se seraient remis plus facilement ou ne se seraient jamais égarés dans ces contrées hasardeuses de la psychiatrie.
Hasardeuses parce que sans humanité, sans inhumanité non plus, mais bref, ce sont des zones « sans personne ».
Le seul qui parlait correctement, qui semblait lucide, était le plus dangereux, en détention depuis longtemps et qui avait totalement oublié qu’il avait assassiné son père.
Les longs couloirs implacables de l’asile psychiatrique, frottés au savon noir, et peints de couleurs fadasses, beigeâtre, rosâtre ou verdâtre, sont parfois parcourus par des fantômes qui parlent tout seuls. Les courettes n’ont rien à envier aux cours de prison, c’est une prison mentale qu’il nous est donné à voir, une prison bien polie, bien réglo, bien conforme mais qui fait froid dans le dos.
Les duretés de la société s’y retrouvent vécues chaotiquement par des personnes en souffrance, et il n’y a aucune consolation, aucun pansement possible, sauf la contention et les médicaments.
Ce n’est pas triste, c’est même parfois humoristique, et je conseille de voir ce très beau documentaire, et de réfléchir à la façon dont on prend en compte les misères sociales. Le pouvoir des médecins et des institutions.....Le parapluie qu'on ouvre pour ne pas voir....ne pas traiter....ne pas se sentir concerné....