Il suffirait…
Si je commente ce spectacle en italien, c’est pour signaler non seulement l’étrange beauté de celui-ci, mais aussi pour donner l’adresse de ce fabuleux théâtre, qui n’en est pas un , mais qui est une salle de spectacle, dans une sorte de vieux bistrot, bref pour rendre visible ce petit coin de Paris, cette ambiance hors du commun où avait lieu, mercredi dernier le 1er mars 2017, le récital des deux italiennes.
Donc d’abord la salle : il s’agit du Théâtre de la Vieille Grille, près de la Mosquée de Paris, dans le quartier de ma jeunesse, non loin de la faculté de Censier.
J’ai tenté de me débarrasser de la nostalgie, car, il y a quelques dizaines d’années, ce quartier était MON QUARTIER, j’en connaissais toutes les ruelles et par tous les temps.
Le café où on faisait des paries de flipper a disparu, au profit d’un commerce de bouche assez huppé, mais la fac, la mosquée sont des repères inoubliables pour moi.
Le théâtre de la Vieille Grille est un espace improbable où tiennent, bien serrées 50 chaises bistrot. Au fond, une scène sommaire, tendue de noir, éclairée par des spots pendus dans la salle par des fils à linge.
Derrière le comptoir du bar transformé en billetterie/régie, on voit un grand panneau : « ICI ON S’HONORE DU TITRE DE CITOYEN ».
Il s’agit, d’après les récits, du premier café-théâtre de Paris, dans une vieille épicerie/cave à vins, lancé au début des années 1960.
« Deux immenses tonneaux se trouvaient à l’emplacement de la scène actuelle, nous a raconté un indigène soixantenaire, qui allait y faire les courses quand il était enfant. Et c’est pourquoi un superbe Bacchus noir et or continue de veiller sur l’entrée. » (site internet du théâtre)
Le théâtre est dirigé par des artistes et a connu jusqu’à l’époque récente bien des hauts et des bas (surtout financiers et juridiques).
Il me semble que ce sont des lieux comme ça qui font l’âme du Paris que j’aime tant, surprenant, chaleureux, confidentiel, engagé, c’est le Paris Village, le Paris culturel, amusant, créatif, innovateur, et toujours populaire, bref un Paris qu’il faut soigneusement protéger sans quoi nous serons directement propulsés vers une mégapole banalisée, standardisée, sans identité, comme il en existe tant dans le monde.
La programmation fait la part belle au jazz, à la musique en général, à la poésie, et aux expositions des artistes associés. C’est un coin de Paris où on peut encore se rencontrer, échanger, se connaître, vous avez compris : c’est un endroit sympa qui vaut le détour. On peut aller boire (comme dans ma jeunesse) un thé à la menthe juste à côté….mais c’est aussi possible de partager un verre dans la salle avant ou après spectacle.
C’est donc installés sur une minuscule chaise bien dure que nous avons vu le spectacle de la troupe italienne ( attention, il s’agit seulement de deux chanteuses) « La maggese » (la mage).
Anna Andreotti et Margherita Trefoloni ont interprété des chansons italiennes.
« Il suffirait d’un jour de soleil », tel est le titre du spectacle, titre issu d’une chanson début du XX ème siècle pour signifier que malgré la guerre, les privations et le froid, avec un rayon de soleil, l’Italie se remet à chanter.
Le spectacle nous emmène dans un voyage, un voyage pour questionner le rapport au pays, une tentative raconter l’histoire du peuple italien, de la première guerre mondiale aux années 70, à travers les mots de poètes peu ou pas connus en France. Il s’agit également de questionner ce que représente encore l’Italie pour celles qui ont émigré en France.
Tout est chanté « a capela », avec la forme des polyphonies méditerranéennes.
Il y avait des commentaires en français, je crois parfaitement inutiles tant la salle était presqu’uniquement composée d’italiens et d’italiennes, lettrées, connaissant non seulement la langue mais aussi toute l’histoire italienne récente.
Un détail amusant : Savez-vous pourquoi l’Italie est la seule nation au monde à avoir construit sa fondation sur un fratricide ? (Romulus et Remus). Parce que les Italiens adorent le fratricide, ils aiment terriblement le Père, lequel doit les autoriser à éliminer tous les frères sans exception !
(sourire, mais c’est assez vrai, dans le passé, les italiens se sont si souvent battus entre eux qu’ils en sont devenus ingouvernables et que toutes les tentatives de conquête se sont heurtées à ce besoin irrépressible de se soulever , une cité contre une autre…).
Les textes des chansons de Erri De Luca, de Pasolini, de Saba sont magnifiques.
En dehors de ce merveilleux moment de grâce, c'est toute l'histoire contemporaine de l'Italie qui vient résonner à notre porte, j'ai adoré.