Eh bien, la pièce a beau se jouer à guichets fermés, avoir reçu de très bonnes critiques, être distribuée dans un des plus importants théâtres parisiens, avoir été la révélation d’Avignon 2017, être applaudie debout, je n’ai pas été captivée du tout !
D’abord les points positifs :
Il s’agit d’un thème peu souvent abordé au théâtre : la fin de l’Indochine et l’exil des vietnamiens à Paris. En fait, c’est un sujet passionnant, d’autant plus qu’il est traité sous l’angle des vietnamiens eux-mêmes, enfin de ceux qui ont été broyés par la fin d’une époque, celle de la colonisation du Vietnam. Mais il n’est pas question de la colonisation, ni de la guerre, seulement de la vie emblématique de quelques personnages perdus dans leurs fidélités et leurs attachements.
Le décor est incroyable, on est dans un restaurant vietnamien. Tout y est reproduit au détail près, les tables en alu, les chaises, les bols et les verres, les baguettes et sauces sur les tables, le frigo rempli à ras bord, les bouquets de fleurs artificielles, la cuisine avec les bouquets de coriandre, de menthe et de basilic, les niches à bouddha avec l’encens qui fume, les décorations au mur….Il suffit que les ventilateurs tournent et que la lumière (la luminosité) change, et hop, on se transporte de Saïgon 1956 à Paris 1996.
La metteuse en scène , Caroline Guiela Nguyen, fille de Viet kieu (« Vietnamien de l'étranger »), et femme de théâtre reconnue (elle a déjà reçu, à 36 ans de nombreuses distinctions) mélange plusieurs histoires de l'exil et de la séparation, du départ des Français de Saïgon à la réouverture des frontières du Vietnam.
Caroline Guila Nguyen a fondé en 2009, la compagnie des Hommes approximatifs qui s’est donné comme mission de produire un travail sur les histoires intimes liées aux bouleversements géopolitiques, sur les histoires absentes des plateaux de théâtre.
Ce qui est merveilleux également, c’est que la pièce est quasi en totalité jouée en vietnamien (surtitré en français) , ce qui imprime encore plus le décor : on a l’impression de baigner dans la culture, les sons du Vietnam, les odeurs de Vietnam, la musique soit des chants du Vietnam soit des chansons populaires des années 1970 (délicieusement intemporelles comme les chansons de Sylvie Vartan, Dalida…) et l’ambiance des familles vietnamiennes.
Et il y a bien des destins qui s’entrecroisent, un militaire qui ramène (de justesse, il a bien failli la laisser sur place) sa fiancée vietnamienne, un jeune homme seul qui part car il a choisi le clan français au grand dam de sa petite amie vietnamienne, la rencontre avec une femme qui offre accueil et protection en France, (Marguerite Duras ?????) , le retour en visite à Hô Chi Minh Ville où l’on parle plus volontiers anglais que français, la présence française paraissant être totalement oubliée..
Les personnages sont parfois servis par de très bons acteurs : La propriétaire du restaurant qui en est aussi la cuisinière, s’appelle Marie Antoinette (pour rappeler, croyaient ils à ce moment-là, une grande reine française) , joue d’une manière stupéfiante. Elle est minuscule et rondelette, avec une gouaille, une spontanéité, un naturel qui en font un personnage clé de la pièce.
Le soldat est aussi très bien joué, il est un peu bête mais pas méchant, il est à la fois fougueux, violent, emporté et désarmant de candeur, bref c’est un personnage à l’aise dans le rôle.
Les points négatifs:
En revanche, il y a des nombreuses faiblesses dans le jeu d’autres personnages et ceci d’autant plus que la méthode de création de la metteuse en scène est particulière et ne devrait pas souffrir d’acteurs médiocres.
Caroline Guiela Nguyen utilise l’écriture de plateau, c’est-à-dire une sorte d’improvisation collective à partir d’un canevas qu’elle confie aux acteurs.
Pour construire l’histoire, Caroline Guiela Nguyen est partie en reportage à la fois à Hô Chi Minh Ville et dans le 13ème arrondissement de Paris.
Mais voilà, certains acteurs ne sont pas du tout à l’aise, et c’est le cas du jeune acteur qui joue le fils du couple mixte qui ne comprend soudain plus sa mère laquelle recommence à parler vietnamien. Et c’est dommage car tout repose sur l’appropriation du texte par les acteurs. Du coup les dialogues sont pauvres parfois, et même la plupart du temps. Et l’histoire traine en longueur.
Un détail intéressant : les vieux exilés parlent un vietnamien qui n’existe plus, un peu comme les Québécois … et ne sont donc plus compris dans le Vietnam d’aujourd’hui.
Autre notation de faiblesse : j’ai bien compris que les vietnamiens ne sont pas des japonais et qu’ils sont beaucoup plus volubiles et démonstratifs que ce qu’on imagine. Mais est-ce une raison pour les voir pleurer et hurler, à grand renfort de gesticulations mélodramatiques, de sauts, de sorties bruyantes, d'évanouissements et de renversements de tables ?
C’est très gênant pour le spectateur car, je dois le dire, la langue vietnamienne est déjà positionnée davantage sur les aigus que sur les graves et que donc, nos oreilles en prennent un bon coup !
Je sais la tristesse des exilés, je peux très bien me projeter sur le sentiment de solitude et d’isolement que cela procure (je le sais personnellement moi aussi), je compatis aux affres des personnes qui doivent subir un tel traumatisme. Mais je n’arrive pas bien à entrer en résonance avec des cris perçants et des gestes excessifs. Par conséquent, ce jeu approximatif (la compagnie s’appelle les Hommes Approximatifs), et ces abus expressifs ont nui à mon émotion et à ma sincère envie de partage.
Enfin, l’histoire apparait quand même décousue et certains personnages semblent juste gratuits. (exemple de celle qui incarne Cécile).
Ce n’est pas du tout une mauvaise pièce mais c’est à perfectionner, et c’est dommage, le sujet est vraiment intéressant.
Écriture Caroline Guiela Nguyen avec l’ensemble de l’équipe artistique
Distribution Caroline Arrouas – Dan Artus – Adeline Guillot – Thi Trúc Ly Huynh – Hoàng Son Lê – Phú Hau Nguyen – My Chau Nguyen thi – Pierric Plathier – Thi Thanh Thu Tô – Anh Tran Nghia – Hiep Tran Nghia