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Soudain l’été dernier (Tenessee Williams) Stéphane Braunschweig à l'Odéon

Soudain l’été dernier (Tenessee Williams)  Stéphane Braunschweig à l'Odéon

La pièce se conclut avec ces mots :

«Je pense que nous devrions au moins prendre en compte l'éventualité que l'histoire de cette jeune fille puisse être vraie…».

C'est le docteur Cukrowicz, dit Sugar, (Jean-Baptiste Anoumon) qui les énonce, après le récit, par Catherine Holly (Marie Rémond), jeune cousine de Sebastien Venable, seule témoin d’une scène d’horreur où Sébastien a perdu la vie.

Tenessee William a écrit cette pièce en 1958, en pleine maturité (il a 47 ans, et il a déjà écrit La ménagerie de verre, Un tramway nommé désir et La chatte sur un toit Brûlant. Pour ces deux dernières pièces, il a obtenu le prix Pulitzer).

C’est un des plus grands écrivains américains et l’un des plus joués en France.

Tout son théâtre est rempli de personnages marginaux, de perdants, d’inadaptés.

Il est vrai qu’il s’est reproché toute sa vie de n’avoir pas empêché que sa sœur Rose, schizophrène, ne soit pas lobotomisée. Lui-même a dû cacher son homosexualité pendant longtemps compte tenu du peu de tolérance de la société d’alors.

« Soudain L’été dernier », (Suddenly Last Summer) raconte l’histoire d’une absence, de quelque chose qui n’a pas été dit, pas révélé, et qui pourtant contient-peut être la vérité qui délivre.

Sebastien, le fils de Mme Venable (jouée par Luce Mouchel) est mort l’été dernier, à l’âge d’environ 40 ans. Les circonstances de sa mort n’ont jamais été claires et seule Catherine, la folle, la cousine que Mme Venable aimerait faire lobotomiser pour la faire taire, possède une connaissance de la scène.

Pour moi, toute l’histoire tourne autour des abus : Mme Venable a été une mère abusive (étouffante, quasiment incestueuse), les riches abusent de leur pouvoir sur les plus pauvres (Mme Venable s’arroge le droit de demander une lobotomie pour sa nièce), la mère et le frère de Catherine abusent de leur avidité et veulent contraindre Catherine à cacher la révélation qui l’obsède, pour pouvoir toucher un héritage, le médecin abuse de ses drogues et autres méthodes d’investigation, les américains abusent de leur niveau de vie (d’après Catherine, Sébastien aurait demandé que les jeunes enfants nus soient écartés avec violence, et il a vraisemblablement également abusé d’eux), Sébastien a abusé de sa mère et de sa cousine en leur faisant jouer le rôle d’appâts vis-à-vis des jeunes garçons qu’il convoitait….

Les récits cauchemardesques convergent vers le point de rupture final : les millions de bébés tortues des Galapagos sont déchiquetées par les oiseaux rapaces, les enfants nus crient famine.

La mise en scène est extraordinaire. Nous sommes dans un jardin tropical où tout est démesuré : un énorme arbre, couvert de liane, entouré de plantes carnivores, bouche l’horizon. On sent la moiteur poisseuse de ce coin de verdure animale, où les hurlements d’oiseaux ponctuent les répliques. Il y a une vie souterraine et monstrueuse dans cette végétation sur dimensionnée, une vie des profondeurs, une vie de fantasmes.

Nous pénétrons dans l’inquiétante étrangeté de l’inconscient.

Toute la salle était silencieusement en attente du dénouement, de la parole qui délivre, qui éclaire, qui vient briser la lumière aveuglante de la scène du crime, qui pose un bouquet de roses rouges sur tout ce blanc, raconté par Catherine, rapproché de nous, comme si nous étions dans sa tête, dans ses yeux, dans l'indicible...

Les avis ont été partagés en revanche sur le son : les voix sont amplifiées dans la moitié de la pièce, puis le décor change et les voix sont à nu. Mes amis plus habitués à l'opéra qu'au théâtre, ont été gênés . Pas moi, mais je voulais le signaler.

La pièce n’a rien perdu de son actualité car le thème social s’enroule autour du thème psychanalytique, qui finalement ressort perdant.

Contrairement au film de Joseph L. Mankiewicz joué par Katherine Hepburn, Liz Taylor et Montgomery Cliff, en 1959, la pièce ne se termine pas sur une note d’espoir : nous sommes dans un monde qui est en train de finir, et la vérité ne servira qu’à alimenter notre effroi.

Les barrières morales ont sauté, le monde est livré à la sauvagerie, on ne peut pas se raccrocher à un rayon de lumière. C'est une fin très sombre, de folie et d'errance qui ferme le spectacle.

Comme c’était la dernière, celles et ceux qui aimeraient voir la pièce, devront aller à Marseille, (en mai-juin),  puis à Milan (Piccolo teatro, à partir de juillet).

A la sortie de l'Odéon, nous avons apprécié les lumières fabuleuses de Paris, le quartier des éditeurs, les rues où se pressaient les adeptes des sorties nocturnes, les immeubles illuminés, les bars aux lueurs douces de bougies sur les tables, les gens attablés aux terrasses. Non le monde n'est pas encore livré à la sauvagerie!

 

Soudain l’été dernier (Tenessee Williams)  Stéphane Braunschweig à l'Odéon
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