C’est le 1er roman de cet auteur qui n’a publié jusqu’à présent que de la poésie. Victor Malzac est très jeune, 28 ans, et aussi très doué (Normale Sup !!!).
Je l'écris tout de suite, ce texte est jubilatoire !!!
« Créatine », c'est le titre, parce que cette substance est utilisée par les culturistes et sportifs de salle et elle est destinée à améliorer les performances physiques et la force musculaire. Le personnage central du livre l'utilise à donf!
Ce livre est jubilatoire car il est écrit quasiment sans respirer, avec une fougue, une vitesse, une énergie sidérantes. Le style est celui d’un rappeur, tout à la suite, en cascade, dans un déversement de mots, de sensations, de pensées qui font un peu penser à Rabelais.
Si ce n’est qu’il s’agit pour un très jeune garçon, le personnage central, de trouver le sens de sa vie et qu’il va se motiver pour, en réaction à son père-un intellectuel chétif-ressembler à Schwarzenegger.
Schwarzenegger est le héros des salles de sport, son portrait y est affiché partout. C’est un modèle, un monstre, une bête de muscles et de forces qui fait rêver les gringalets qui, quoique maigres, ont des bouées autour du ventre, stigmates gagnés par une longue fréquentation de la PlayStation et des pizzas.
Dans le but de devenir le tombeur des filles, de réussir sa mue vers la virilité, le jeune homme ne voit qu’une solution. Manger de la "viande carnivore", se badigeonner d’ AXE POWER 8 ULTIMATE VIRIL XXXXL, et se faire des biceps d’acier en soulevant des tonnes de fonte dans des salles où ça sent la sueur de mâle.
Franchement ce livre m’a fait beaucoup rire, surtout par sa fausse naïveté et par le recul de son auteur qui finalement se moque de cet ado boutonneux qui se gave de figures machos pour enfin ressembler à la créature de ses rêves.
Le gamin n’arrive même pas à se masturber, alors imaginer que le tas de muscles qu’il est en train de se sculpter puisse résoudre le problème de la virilité qui plait aux filles, c’est se fiche de la gueule du monde!!!
D’ailleurs, à la fin….mais non je ne vais pas raconter la fin, car il y a bien une histoire dans ce livre qui tient de la performance de style et qui est complètement excentrique par son sujet.
J’ai vraiment adoré et c’est pourquoi je vais donner ici un échantillon de la prose de cet auteur extrêmement prometteur et qui ose casser la doxa ambiante. C’est à cela qu’on reconnait le génie !
Voilà comment est décrit le jeune homme avant de trouver sa voie:
« Je ne faisais rien du tout comme les autres de mon âge moi, j’étais tout le temps libre mais je ne sortais pas et on ne m’invitait pas, tu sais j’étais déjà trop différent des autres donc les autres ne voulaient pas trop me parler, les autres restaient entre eux tous ces minables, tous ces cons ils allaient faire des choses entre eux, hein, alors ça fait quoi maintenant, les cons ils n’avaient pas compris qui j’étais, qui j’allais être, ils ne savaient pas tous ces cons que je serais plus beau que l’acteur américain Brad Pitt qu’ils allaient voir au cinéma, ils ne savaient pas que je ferais le triple de son poids aujourd’hui, enfin sur la photo,… »
Mais voilà l'image du héros:
« Arnold Schwarzenegger, arnold schwarzenegger, ce type, ce héros, ce grand héros de notre humanité, de notre histoire avec son travail et ses muscles, son épée qui brille et le sang partout dessus quand il se bat, quand il gagne à la fin trois cents millions de dollars, la gloire de cet homme, ah mon dieu c’était extraordinaire comme fin, comme, mais comment dire, là, juste, c’était juste un tas d’émotions d’un coup. »
Et les fantasmes du garçon se font tangibles, c'est une sorte d'orgasme:
« je suis le loup qui dévore les moutons, je tue les bêtes et je grossis, ouais, je, je crie, je crie sur tous les promontoires waaaaaaaaaaaaaah très fort, très fort très fort je crie et je sens fort la bête le monstre du Gévaudan le dragon du loch Ness je le bouffe à midi, ouais et quand je me réveille je sue et quand je fais des pompes ma peau fume lentement, j’ai au moins, au moins trois milliards de puissance comme Saitama, j’ai cinq étoiles tout le temps dans GTA et je détruis des hélicoptères, je suis l’unique, seul, moi le représentant de la nature en acte, je tue tous ceux qui sont sur mon passage et je m’accouple aux femelles qui ne peuvent pas me nuire, je suis dangereux, je suis plus qu’un homme je me dépasse, je me tue et me mange tout le temps et le toi gagne, victoire, tueur, bravo, tu as gagné, le toi adulte doit gagner si tu es assidu au sport ultime, c’est l’objectif d’une vie entière, c’est la domination du monde, il est le monstre que l’humanité voulait, il est le tremblement de terre que les nations redoutent, il est le dominateur ultime avec le requin-tigre et le gorille du Bengale, il défait les espèces qui ne sont pas faites pour vivre longtemps ou se reproduire avec toutes les femmes, il détruit la nature, la nature, le monde, la terre dans sa bouche le feu, le sport ultime détruit la nature faible en chacun de nous, il se joue devant la glace, et tout ça je me le dis, je le sais, je me le dis tous les matins, je sais que j’ai raison, j’ai, et ça, et ça je l’ai su très vite grâce à mon père et grâce à Schwarzenegger. »
C’est marrant, non ? Moi, j’ai ADORÉ, j’ai bien ri, c’est un livre à lire au second degré, mais c’est génial !!!