Excellentissime film, intelligent, subtil, qui parle vrai, et dont bien entendu personne ne parle !!!
Je recommande chaleureusement cette analyse qui vient bousculer toute la bien pensance autour de la méritocratie et des chances égales, bla bla..
La jeune fille est douée en maths, c’est déjà assez rare que ce soit une fille, mai, de plus, elle est issue d’un milieu agricole, complètement éloigné des grandes écoles et de leurs débouchés.
On la voit d’abord en terminale, brillante élève de S, capable de répondre aux questions les plus ardues avec facilité. Le prof de maths lui parle alors des classes préparatoires, dont elle n’avait jusqu’à présent aucune idée, occupée qu’elle était, durant ses heures libres, d’aider ses parents dans le petit élevage de cochons qu’ils peinent à maintenir à flot.
Pour elle, il n’y avait qu’une école d’agriculture en perspective. C’est tellement juste ! Les milieux éloignés des codes de l’élite n’arrivent pas à concevoir où mène une grande école. Que fait-on avec Polytechnique ? Rien de concret ne vient à l’esprit, comme le dit le papa quand le professeur vient expliquer le projet de Classe Préparatoire.
Puis la jeune fille obtient une bourse et s’en va à Lyon, dans une prépa immense où elle est pensionnaire. Et là, les parents qui ont eu des enfants qui ont fréquenté ces lieux, comprendront immédiatement. La jeune Sophie subit le choc qui est régulièrement asséné aux bons élèves en France. Si elle était brillante au lycée, elle se retrouve en queue de peloton en classe prépa. Les commentaires de la prof de maths sont plus vrais que nature. En gros ,c’est : « Ma pauvre Sophie, vous n’êtes pas du niveau, il va falloir vous ressaisir et vous mettre au travail ! ».
Les jeunes qui consacrent tout leur temps à travailler, qui écourtent leurs nuits, qui font une croix sur leur vie privée, sur leurs attaches familiales, sur leur sexualité, s’entendent dire : « Qu’attendez-vous pour vous y mettre ? À ce train-là, allez plutôt rejoindre la fac, courez-y…etc.. ».
La fac, en France, est le lieu où on se vautre, où on ne travaille pas, où on passe du bon temps et où on entasse les mauvais élèves qui n’auront aucun avenir. Cela devient de plus en plus vrai, cela ne l’était pas, il y a 50 ans, mais l’Université d’aujourd’hui…bon, je n’en dirai pas plus, ce sont mes commentaires personnels et ceux-ci ne sont évidemment pas intégrés dans cet excellent film.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans ce film, au-delà de la description de la dureté des efforts que l’on demande à notre jeunesse la plus douée, c’est le point de vue critique sur ce qu’il en coûte de devenir un "transfuge de classe". Et pas tellement en termes de pression et de résistance au stress (qui est bien, je pense, ce qui est recherché dans ces usines à fabriquer les élites), mais plutôt en termes de décalages avec les autres élèves et d’humiliations conséquentes.
Les autres viennent tous de la très bonne bourgeoisie et on peut imaginer que leurs facilités sont aussi des facilités sociales, organisées dès la plus tendre enfance, par des cours et une éducation soignée, préservée des tracas de la vie quotidienne, et des difficultés financières.
Et ils ne sont pas méchants, ni mal intentionnés, non, non pas du tout. Mais leur incompréhension totale du monde de ceux qui tirent le diable par la queue, de ceux qui peinent pour gagner leur vie, des petits, « qui ne sont t rien » (pour reprendre une expression venue d’en haut) en font des sortes de monstres. Involontairement cruels, avec des idées, des jugements à l’emporte-pièce (par exemple : les Gilets Jaunes, ce sont des gens d’extrême droite, non ?), des propos blessants (« Vos parents, ils sont dans quelle branche ? Ah, l’agriculture, les agriculteurs sont les jardiniers de la France, ah, non, vous dites que c’est l’élevage, ils sont passés au bio ? »).
Et quand la jeune voisine de chambre de Sophie, à qui tout sourit parce qu’elle est jolie et intelligente et qu’elle cumule les succès , notamment parce qu’elle a de grandes facilités en maths et qu’elle est programmée pour réussir le top niveau des écoles, quand cette voisine décide d’abandonner la prépa pour se lancer dans le théâtre et monter sa troupe, comment ne pas voir là une insulte à celle qui galère et qui n’a que son travail pour réussir ?
C’est tellement juste !
Alors oui, la méritocratie fonctionne, Sophie finira par intégrer l’X, la prestigieuse École Polytechnique, mais par la petite voie. Les classes préparatoires et leur fonctionnement spartiate, destiné à forger les caractères de ceux qui ont déjà tout entre les dents, ce n’est pas pour Sophie. Elle rejoindra la Faculté, tellement méprisée des profs des grandes écoles, et finira bien par trouver sa voie…La voie ROYALE !
PS : Mes enfants me disent qu’en classe préparatoire à Paris, il y avait un boursier du 93 qui raflait les meilleures notes en maths. Comme quoi, de ce côté-là, c’était encore possible. Je me demande toutefois s’ils étaient capables de distinguer les humiliations sociales, car, précisément, ils ne venaient pas d’un élevage de porcs au milieu de la campagne, eux !
Ce film est tout à fait génial et fait honneur au cinéma social français.
Réalisé par : Frédéric Mermoud
Avec : Suzanne Jouannet, Marie Colomb, Cyril Metzger, Marilyne Canto, Maud Wyler