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About Kim Sohee (film Corée 2022)

About Kim Sohee (film Corée 2022)

C’est un film qui prend aux tripes, un film social de type Ken Loach, mais en Corée (du Sud bien entendu !). L’histoire est inspirée d’un fait réel qui a conduit, parait-il, à une modification de la législation du travail (il y en a encore une en Corée du Sud).

Kim Sohee est une adolescente, lycéenne dans un lycée professionnel agricole et fanatique de danse Hip-Hop (appelée, je crois K-Pop, une sorte de break dance). Et au début du film, elle a de la chance (l’école aussi, on le verra plus tard) : elle décroche un stage longue durée dans une entreprise. Mais cette entreprise n’a strictement rien à voir avec une formation animalière ou agricole puisqu’il s’agit d’un call-center, sous-traitant d’un fournisseur d’accès internet, et destiné au service clients. Or, il s’avère que le service clients consiste essentiellement à encaisser les insultes des clients mécontents et à transformer leurs colères en… nouvel abonnement !!!!!

Le travail n’a déjà rien d’enthousiasmant, car toutes les opératrices vivent avec un casque sur les oreilles, attablées à un minuscule clavier, comme une cage aux cloisons de bois, dans une grande salle peu éclairée. Mais en plus d’essuyer des injures toute la journée, les stagiaires (car les filles qui travaillent dans ce service s’avèrent être principalement des stagiaires ou des intérimaires), les stagiaires, donc, sont payées au lance-pierre malgré des contrats qui devraient – théoriquement -leur assurer des primes à la performance. Parce que tout marche à la performance et on a l’œil rivé sur des tableaux de chiffres qui affichent, classent et hiérarchisent tous les employés de manière collective. Il y a un rang de classement collectif et un suivi individuel, on peut ainsi voir qui, dans l’équipe, fait chuter la moyenne du groupe, devant lequel il se trouve publiquement réprimandé.

Comme de juste, ce type de classification publique, est destiné à monter les employées les unes contre les autres, car les primes sont prévues pour être attachées à la performance collective modulo l’atteinte des objectifs individuels. C’est la grande trouvaille du néolibéralisme que de créer de la concurrence entre les plus démunis, les plus précaires, les plus faibles des travailleurs. Empêcher les actions collectives et isoler les employés, voilà qui contribue à la sacro-sainte « Performance ».

Il faut donc travailler à rebours de toute morale et de ses propres valeurs, et vendre à tout prix un service, même rendu inutile selon la situation du client. C’est ainsi que l’un des clients, souhaitant résilier le service, confie avoir perdu son fils, mais l’opératrice doit continuer, sans état d’âme, et lui proposer imperturbablement un nouvel engagement.

Les ingrédients du burn-out sont tous réunis et démontrés avec une grande justesse dans le film : le management est dur, procède par humiliation, les employées ne se parlent pas, se connaissent à peine, et sont placées en situation de compétition, il n’y a aucune reconnaissance si ce n’est négative, la pression pour augmenter les performances est maximale, et, bouquet final, les primes promises n’arrivent jamais. Il n’y a aucun moyen de trouver du soutien, car l’école, elle-même, est placée en concurrence, le taux d’emploi des élèves étant l’un des critères qui permet son financement. Voilà pourquoi l’école essaie par tous les moyens de placer ses élèves, sans se soucier le moins du monde de leur adéquation à la formation ni, a fortiori, de leur épanouissement professionnel.

Au passage, je note que les salaires moyens en Corée sont bien supérieurs à ceux qui sont pratiqués en France (2000 euros environ de salaire moyen) alors que le coût de la vie est deux fois inférieur à celui qui existe en France. Cela ne fait pas la une des journaux, mais prouve, une fois de plus, la paupérisation de la France.

Qui aurait pu penser qu’on ait un film coréen qui dénonce les conditions de travail des jeunes, et, au-delà, la souffrance de toute une société qui vit au rythme des tableaux Excel et écrase tous les plus précaires sous le poids de l’atteinte des performances ?

Ces pays du Sud-Est asiatique vivent aujourd’hui ce que nous avons connu… quand nous avions encore des emplois de cette nature en France.

Tout en nous montrant les drames auxquels peuvent conduire de telles situations, le film témoigne d’une vraie prise de conscience. En effet, nous apprenons tout d’abord le suicide du manager chargé d’encadrer l’équipe de Kim Sohee, et, notamment, de « calmer » les clients les plus agressifs. Puis, nous voyons Kim Sohee perdre pied et sombrer dans le désespoir qui la conduira, elle aussi, à se donner la mort. Mais le film se poursuit par l’enquête menée par une inspectrice de police lucide et empathique qui, méticuleusement, met à jour ces mécanismes insidieux de « déshumanisation ». Au point d’interpeller la direction de l’entreprise (qui persiste à ne voir que leur intérêt financier et leur propre réputation) et de se voir « recadrer » par sa hiérarchie policière.

Actuellement, pour nous, ce sont les cadres qui en prennent plein la figure, car après avoir délogé, expulsé, écrasé tous les travailleurs sans qualification, il est courant aujourd’hui de malmener les managers intermédiaires qui font des bullshit jobs.

C’est pourquoi cette plongée dans la dureté de la société coréenne nous rappelle la face sombre des relations de travail dans notre propre société.

 

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