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La Vie Clandestine (Monica Sabolo, 2022, Gallimard)

La Vie Clandestine (Monica Sabolo, 2022, Gallimard)

Je me suis demandée de prime abord quel était le projet de la romancière avec ce livre, qui s’intitule « Roman » et qui pourtant est une enquête sur les personnages (les personnes ?) qui ont été des militants d’Action Directe en France.

De ces mouvements, on se souvient les noms de Jean-Marc Rouillan de Nathalie Menigon et de Joelle Aubron ; On se souvient de l’assassinat du « patron » de la (encore, il me semble) « Régie » Renault, le dévoué Georges Besse, on se souvient aussi de l’arrestation spectaculaire des protagonistes dans une ferme isolée du Loiret et tout le monde de ma génération conserve en  tête les photos de l’avis de recherche, les portraits fiévreux des jeunes femmes et, globalement l’allure « bien sous tous les rapports » de la bande de subversifs . Bref, on pense tout savoir et on s’interroge sur la nécessité de déterrer cette histoire, qui semble complètement déconnectée des problèmes que nous connaissons aujourd’hui, surtout après les attentats de 2015 /2016, et le choc de la pandémie mondiale.

Monica Sabolo indique qu’elle a choisi cette « aventure » rocambolesque, justement à cause la distance qu’elle éprouve vis-à-vis de ses acteurs, elle qui a vécu dans les beaux quartiers de Milan, Genève et Paris et qui n’a jamais connu, en raison de son milieu d’appartenance mais aussi de son âge (elle est née en 1971) , les milieux anarchistes des années 70.

Le livre est composé de deux fils entrelacés, d’une part l’enquête qu’elle mène pour reconstituer tous les épisodes de ce passage à la lutte armée dans les années 80, et d’autre part le récit de sa vie à elle, depuis son enfance jusqu’à son arrivée dans l’âge adulte.

Au tout début, j’insiste, on se dit que c’est fort de café de comparer sa situation d’enfant naturelle, dont le père officiel n’est pas le père biologique, avec la vie clandestine des militants d’Action Directe. C’est effectivement assez tiré par les cheveux tant il y a un fossé entre Monica Sabolo, l’enfant de la bourgeoisie, la pauvre petite fille riche, dont les parents se séparent (comme des millions d’autres) , qui subit les attouchements du beau-père (comme, hélas aussi, des millions d’autres), mais qui finit par retomber sur ses pattes et se retrouver dans son milieu d’origine, et la passion militante, l’activisme, l’entêtement idéologique et l’extrémisme des groupes passés à la violence armée et qui finiront soit en prison soit suicidés ou assassinés.

Monica Sabolo est effectivement à mille lieues de pouvoir comprendre ces partisans enragés, ces mordus de la politique, ces fervents révolutionnaires, déterminés à changer les rapports sociaux en justifiant leur propre violence par celle, non moins cruelle, de l’Etat et du capitalisme à l’origine des plus grandes injustices. Et je dirais donc que, d’ailleurs, Monica Sabolo passe presque totalement à côté des raisons politico-économiques qui ont conduit à ces mouvements radicaux, au même moment ou à peu près, dans d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, ou même le Royaume Uni (IRA). Elle s’attache à l’analyse des personnalités des plus emblématiques membres d’Action Directe mais n’arrive pas (ou ne cherche pas ?) à « comprendre » (pas à excuser, mais simplement à rendre compréhensible) les motivations de ce groupe.

C’est bien vrai qu’on aurait tendance à considérer que la lutte armée, le terrorisme, sous ses formes revendiquées qui visent à « semer la terreur », sont l’expression du mal, de l’action la plus dépourvue de sens et de fondement, de la folie, du crime social le plus absolu. S’en prendre à des personnes physiques pour ce qu’elles représentent dans leurs fonctions, dans leur emploi, dans leur rôle, c’est non seulement absurde mais aussi inutilement atroce, sans aller jusqu’à parler de l’« axe du mal »  cher aux américains. Mais à y regarder de plus loin, justement, on ne peut qu’être frappé par la simultanéité des luttes violentes dans une Europe qui commençait précisément à s’engager dans la voie du libéralisme le plus acharné, lequel finirait bien par nous ruiner tous, ainsi qu’on peut le constater aujourd’hui.

A retrouver cette époque sous la plume de Monica Sabolo, je me dis que, sans en avoir bien eu conscience au moment des faits, il y a bien eu une résistance viscérale à l’avènement du néo-libéralisme, il y a bien eu des réactions sociales, des révoltes - et celles d’Action Directe en sont la manifestation la plus belliqueuse-, il y a bien eu, dans nos sociétés, des contestations, des soulèvements, et peut être qu’Action Directe se voyait comme une insurrection susceptible de changer la donne. Le néo-libéralisme s’est bien imposé par la force finalement. Alors oui, c’est vrai Action Directe faisait une analyse marxiste, et prenait pour alibi une classe ouvrière qui, paradoxalement, était en train disparaître. Les militants se trompaient de combat, certes, mais ils avaient bien vu le danger des évolutions économiques pour les réalités sociales. Ce qu’on regrette formellement, c’est qu’outre les morts horribles qui ont été perpétrées, leurs actions ont peut-être contribué à l’accélération de la répression et du resserrement autoritaire….  

Même si ce n’est pas le sujet de Monica Sabolo, les justifications des membres d’Action Directe n’étaient pas totalement insensées.

Monica Sabolo s’attache, je l’ai dit, aux personnalités, aux ressorts psychologiques et en vient, de le même façon, à la conclusion (bien plus nuancée que moi dans son livre qui est très littéraire) que « chacun est victime et coupable. C’est sans doute la phrase que je redoute le plus d’entendre, car elle est la vérité même. »

Quelques citations que j’ai bien aimées :

« Nous ne sommes jamais là où se trouve la vérité, du moins pas tout à fait. »

« Ne vous approchez pas trop du cœur d’autrui, vous ne serez jamais plus sûr de rien. »

« S’approcher de la vie n’aide en rien, avancer jusqu’à sentir son souffle sur sa peau fait plus mal encore. En ce lieu où se tiennent enlacés l’espoir et l’inconsolable, la tendresse et l’indicible, aucune réponse ne surgit. »

« Les vérités se côtoient à la façon d’univers parallèles, légèrement dissemblables, séparées par des parois aussi minces que du papier à cigarette, des parois au travers desquelles nous pourrions voir, si nous nous approchions, que nous pourrions déchirer juste en y passant la main. Mais nous ne le faisons pas. »

« Quelquefois, nous trouvons, poussés par des forces mystérieuses, un refuge au milieu de la forêt, ou en plein cœur de la ville. Parfois, nous rencontrons là un autre cœur égaré, poussé à l’abri par les mêmes forces mystérieuses. Cet être, croyons-nous, ne nous ressemble pas, il est même celui à qui tout nous oppose. Dans d’autres circonstances, à une autre époque, cet être aurait pu nous combattre. Mais à présent, loin du bruit du monde, dans cette cache où nous avons échoué et qui est en réalité le centre même du monde, il nous ramène à la vie. Peut-être même nous ramenons-nous l’un l’autre à la vie. Nous nous rencontrons en ce point exact qui relie les humains à l’univers entier, à un instant particulier, à un endroit particulier, à la façon d’une éclipse solaire, ou d’une pluie d’étoiles filantes. À cet instant, nous nous souvenons qu’en notre cœur existe un lieu irréductible, fait d’eau et de lumière, un lac cerné de montagnes bleues, traces d’un temps géologique. Nous nous souvenons alors que ce lieu existe dans le cœur de tous les hommes. Absolument tous ».

Belle leçon d’humanité finalement que cette rencontre avec de « vieux » terroristes !

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