Il y a peu de films français que j’aime vraiment beaucoup, mais celui là fait partie des meilleurs, vraiment.
Construit comme une comédie, le film raconte l’enfer de la première année de médecine. Les postulants sont prévenus dès le premier cours : sur tout l’amphi seuls les 2 ou 3 premiers rangs passeront en seconde année, les autres seront, au mieux, dirigés vers dentaire, pharmacie ou kiné, au pire, iront rejoindre la cohorte des chômeurs. L’une de répliques du film c’est : « Tu voulais être médecin, et tu te retrouves boulanger".
Le réalisateur est un médecin reconverti dans le cinéma, Thomas Lilti, qui a déjà mis en scène « Hippocrate » et « Médecin de campagne » sur les pratiques médicales quotidiennes en France. C’est dire qu’il connait bien le sujet.
Je pense qu’il n’est pas facile de raconter la vérité (type documentaire) sur le format d’une fiction car trouver le ton juste n’est guère évident, et la fiction n’est pas toujours propice à la démonstration. Mais ce film est très réussi.
Le focus est mis sur deux étudiants, noyés dans la masse des aspirants, confrontés à la violence inouïe d’un début de parcours destiné à éliminer le plus possible, non seulement ceux qui ne correspondent pas à ce qui est exigé mais aussi tous ceux qui ne tiennent pas le coup…..
Benjamin Sitbon (joué par William Lebghil), c’est le bon élève, c’est aussi celui qui s’inscrit pour la première fois en médecine. Antoine Verdier (joué par Vincent Lacoste), et avec qui le tandem se construira, veut vraiment être médecin, c’est sa vocation. Le problème c’est qu’il triple (ce n’est pas autorisé en principe, il a bénéficié d’une dérogation) sa première année et qu’il « rame » vraiment, pas par manque de travail mais parce qu’il n’a pas compris les codes de l’apprentissage.
Car il faut se plier à une discipline de fer, établir un emploi de temps minuté, veiller aux heures de repas et de pauses, ne pas sacrifier la forme physique, tout en évitant l’écueil de l’intelligence : pas besoin de comprendre, il faut répondre comme une machine. Il y a 3 minutes pour chaque réponse aux questions QCM, il ne faut donc pas réfléchir, il faut être mécanique et « rentable ».
La première année sélectionne des étudiants qui ressemblent plus à des « sauriens » qu’à des hommes car ils sont invités à ne faire fonctionner que leur cerveau le plus primitif, le cerveau reptilien. C’est bien pire que le simple bachotage, c’est la technique du gavage, du par-cœur systématique, du marathon puissance mille.
Et je ne peux que me souvenir de Rabelais (amusant, Rabelais était lui-même déjà médecin au XVIème siècle!) qui dénonçait l’éducation stupide des scholastiques :
Maître Tubal Holoferne, le grand docteur sophiste, apprenait à Gargantua à réciter par cœur l’alphabet à l’envers, et lui faisait ingurgiter « un gros bréviaire emmitouflé, pesant, tant en graisse qu’en fermoirs et parchemins, onze quintaux et six livres à peu près ».
Serait on revenu au moyen-âge et nous faudrait il écouter à nouveau les leçons d'humanisme de Rabelais?
Thomas Lilti voulait depuis plusieurs années faire un film sur l’université et l’énergie des étudiants :
« Peut-être que le problème, ce ne sont pas les jeunes médecins, mais le système qui les forme. […].Je voulais raconter la violence et l’épreuve que sont ces grands concours qui déterminent toute une vie. Cette première année de médecine, complètement folle où on ne vit plus que pour quelques heures dans un centre d’examen, je l’ai vécue. La médecine n’est pas, ici, un prétexte mais plutôt un « contexte », une porte d’entrée qui doit permettre aux spectateurs de comprendre très vite le but des personnages. Un moyen de parler de cette « hyper compétition » dans laquelle notre époque nous oblige à vivre. On sort à peine du lycée et déjà le système des études supérieures nous met en compétition, nous classe, nous oppose. »
Bien sûr, c’est un film politique, même s’il n’apporte pas de solutions toutes faites et même s’il fait rire. Car, au-delà des chahuts étudiants, des quelques blagues salaces qui dressent le décor des amphis de médecine, le sujet c’est aussi la solitude, l’isolement social, le burn-out des plus vulnérables, la vie consacrée aux révisions, l’abrutissement et la perte des liens familiaux et amicaux. Vivre et penser comme des PACES pour parodier le titre de Gilles Chatelet!
Ceci étant, je comprends bien que d’autres filières, et quoi qu’en disent les aspirants médecins, peuvent être tout aussi inhumaines. Les classes préparatoires que je connais mieux me semblent également un lieu de ségrégation psychique où les plus fragiles (souvent d’ailleurs les plus motivés) pètent les plombs et finissant à l’HP. Mais c'est tout de même inquiétant pour le métier de médecin!
Heureusement le film se termine sur une belle note d’espoir, dommage que ce soit une fiction, on aimerait bien croire au miracle !
J’ai beaucoup apprécié la vérité du jeu des acteurs, le scenario bien enlevé, et l’histoire brillante, bravo, bravo !