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OLA! ESPAGNE, une autre politique est possible

OLA! ESPAGNE, une autre politique est possible

Alors que notre actualité nationale nous fournit de multiples sujets de débat, je voudrais vous inviter à observer ce qui se passe en ce moment chez un de nos grands voisins européens, l’Espagne.

En fin de semaine dernière, Pedro Sanchez, le Premier Ministre, a annoncé qu’il allait convoquer des élections générales le 28 avril prochain faute d’obtenir du Parlement une majorité pour l’approbation de son budget. C’est la fin anticipée de la législature (qui en tout état de cause se serait terminée en 2020) et la chute du gouvernement socialiste homogène qu’il dirigeait depuis huit mois.

Situation prévisible, dira-t-on. Aucune majorité ne se dégage dans l’actuel Parlement espagnol et Pedro Sanchez avait bénéficié, pour son investiture, d’une majorité de rejet du gouvernement de droite de Mariano Rajoy, enlisé dans l’échec économique et social ainsi que les affaires de corruption et incapable de résoudre la crise catalane. Alors, Pedro Sanchez a-t-il « mal négocié » sa survie ? Serait-il un « loser », que l’on risque d’oublier rapidement ?

Pas vraiment. Examinons de plus près ce que cet éphémère gouvernement a fait, et tirons en quelques enseignements qui pourraient concerner notre pays et plus largement l’Europe.

Il faut présenter le cadre politique de cette (courte) année de gouvernement socialiste.

On y retrouvera certaines analogies, mais aussi des différences avec notre contexte franco-français.

Quatre partis politiques se dégagent peu ou prou des récentes (et fréquentes) élections :

- deux partis ont exercé alternativement le pouvoir depuis le retour de l’Espagne à la démocratie en 1974 : le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le parti populaire (PP) qui, comme son nom ne l’indique pas, est un parti conservateur ancré à droite. A noter que, jusqu’à tout récemment, il n’avait pas de « concurrence » sur l’extrême droite, apparemment les quatre décennies de dictature franquiste avaient « immunisé » les électeurs. Ces deux partis ont donc acquis une « culture de gouvernement »

-un nouveau parti centriste prétendant rénover la vie politique, mettre fin aux abus de la corruption et de l’opacité des partis au pouvoir : « Ciudadanos » (citoyens). Il connaît un certain succès dans les urnes mais, à la différence de nos actuels « marcheurs », il n’a jamais exercé le pouvoir.

-le mouvement « Podemos », bien ancré à gauche, qui proclame lui aussi une nouvelle façon de faire de la politique en faveur des revendications économiques et sociales du peuple et contre le capitalisme mondialisé et tous ses excès.

Une grande différence avec notre situation, c’est le poids des partis dits nationalistes, voire indépendantistes, dans les régions qui revendiquent le plus fort leur autonomie et/ou leur indépendance : Pays Basque et Catalogne. C’est une clé de la situation actuelle.

Enfin, l’extrême droite vient de réapparaître avec le mouvement « Vox » qui a réalisé une percée électorale dans les récentes élections régionales en Andalousie.

Le tout dans un cadre européen pleinement assumé et revendiqué. L’Espagne est devenue un grand partenaire européen (il n’y a pas que « le couple franco-allemand » !), ses responsables politiques soutiennent l’Europe, preuve en est que même les nationalistes ne conçoivent pas l’avenir de leur « pays-région » en dehors de l’Europe.

Quand Pedro Sanchez, leader du parti socialiste, est arrivé au gouvernement, il ne disposait que de 84 voix de son parti (sur 350) au Parlement, auxquelles s’ajoutaient les 71 voix de Podemos qui, sans entrer au gouvernement, avait décidé de le soutenir. D’où la nécessité de s’assurer en plus la bienveillance de la vingtaine de députés indépendantistes basques et catalans pour gouverner.

Beaucoup s’attendaient à une politique timorée, faute de majorité assurée, et à une gestion « au fil de l’eau ». En fait, c’est tout le contraire qui s’est produit. Pedro Sanchez et son équipe (la plus féminine d’Europe, avec 11 femmes et 6 hommes) ont pris une série de nouvelles mesures :

-sur le plan économique et social, augmentation du salaire minimum de 22% (de 740 à 900 euros mensuels), rétablissement de l’accès aux soins pour les sans-papiers, ré-indexation des retraites sur l’inflation, augmentation du salaire des fonctionnaires.

- et aussi des décisions politiques très significatives, qui sont des « marqueurs » d’une vraie politique de gauche. Chacun se souvient   de l’accueil du bateau de sauvetage de migrants « l’Aquarius » avec 630 personnes à son bord, alors que ni l’Italie, ni Malte, ni un autre grand pays voisin ne voulaient le laisser accoster. Pedro Sanchez l’a fait au nom des « valeurs humanitaires de l’Europe ». Et il a sauvé l’honneur face à l’Italie et à la France. Encore plus fort, si je puis dire, il a décidé de procéder à l’exhumation de la dépouille du dictateur Franco du grand mémorial de la guerre civile, la « Valle de los Caidos ». Evidemment il doit surmonter l’opposition de la famille et de l’Eglise (!), aux dernières nouvelles il a donné un dernier délai à celles-ci pour fixer le lieu de la nouvelle sépulture, mais je dis: chapeau! On imagine le retentissement dans l’opinion publique.

Mais, au bout d’un moment, les décrets ne suffisent plus, il faut un nouveau budget adopté par le Parlement. Laissons parler la ministre des finances Maria Jesus Montero. Après avoir rappelé que ce budget s’inscrit dans le strict cadre des règles européennes, elle souligne : « pour nous, en tant que gouvernement social-démocrate, il réintroduit des droits suspendus ou enlevés durant la crise qui permettent de protéger les plus vulnérables. Nous augmentons de 40% les aides pour les personnes dépendantes. Nous approuvons une hausse du revenu minimum vital, des retraites minima et des fonds destinés au logement, en particulier aux jeunes. Nous réintroduisons la gratuité des médicaments pour les retraités qui gagnent moins de 12 000 euros par an. » Dans cette interview donnée fin janvier, elle insiste aussi sur les enjeux de ce projet de budget : « Nous sommes convaincus qu’une des menaces les plus importantes de l’Europe est la montée des autoritarismes, fondamentalement d’extrême droite, qui profitent d’une situation d’apathie ou de scepticisme des classes populaires envers la politique. Surtout chez ceux qui ont été particulièrement frappés par la crise et pour qui la reprise n’a pas permis d’ouvrir des fenêtres de confiance pour l’avenir, et ceux qui considèrent que les politiques ne se sont pas montrés utiles pour changer leur vie, que leurs problèmes sont passés en dernier ou que la reprise dont parlent les médias ne s’est pas traduite par une amélioration de leur quotidien ». Bien sûr, l’argent ne vient pas tout seul, il faut des impôts, je cite : « Nous avons aussi augmenté de trois points l’impôt sur le revenu à partir de 130 000 euros annuels et de quatre points à partir de 300 000 euros. Cela ne représente pas un volume conséquent mais il nous semblait important de demander cet effort supplémentaire à certains…Nous introduisons de nouveaux impôts aux grandes multinationales du numérique pour taxer la publicité ciblée, la vente des données des utilisateurs et l’intermédiation, ainsi qu’une taxe sur les transactions financières qui s’inspirent des directives françaises (!). C’est un mouvement qu’il faut faire en Europe : un fisc moderne doit accompagner les changements de société et il faut avancer vers une union fiscale européenne. »

Ce budget a donc été repoussé, par 191 voix contre 158, malgré le soutien de Podemos, qui avait salué « le budget le plus social de l’histoire, qui allait améliorer les conditions de vie de millions de personnes ». Malgré des négociations serrées (Pablo Iglesias, le chef de file de Podemos, avait même rencontré en prison le président de la gauche indépendantiste catalane pour le convaincre de le soutenir), les indépendantistes, catalans en particulier, n’en ont pas voulu. Ces nouvelles mesures budgétaires ne pourront pas être appliquées.

En effet, Pedro Sanchez a refusé la revendication catalane d’organisation d’un nouveau référendum sur l’indépendance. D’ailleurs les partis de droite, d’extrême droite et Ciudadanos ont manifesté ensemble pour soutenir « l’unité de l’Espagne » et dénoncé le « scandale » que constituerait un nouveau référendum. Je n’ai pas tous les éléments pour juger, il me semble que le nationalisme catalan comporte à la fois une revendication un peu égoïste de région riche qui ne veut plus partager le sort de l’Espagne tout entière mais aussi une mémoire très vive de l’oppression de la dictature franquiste dans ce qui fut un des derniers bastions de la République espagnole durant la guerre civile : répression impitoyable, interdiction de la langue catalane, etc… L’incarcération pour « rébellion » des dirigeants indépendantistes, décidée par la justice avant l’arrivée au pouvoir de Pedro Sanchez, n’a pas facilité les choses.

Les Espagnols vont donc élire un nouveau parlement le 28 avril prochain. Fait notoire, le parti socialiste remonte beaucoup dans les sondages, mais pas suffisamment pour pouvoir constituer une majorité seulement avec Podemos qui est en petite forme. C’est un test aussi pour la droite et Ciudadanos qui sont tentés de s’allier avec le nouveau parti d’extrême droite Vox.

Je ne connais donc pas la suite du film mais je vous propose d’ores et déjà quelques réflexions sur la situation.

Je n’idéalise pas les socialistes espagnols, ils ont aussi connu des dérives clientélistes ou des scandales de corruption (ce qui semble-t-il leur a fait perdre les élections en Andalousie), ils ont mis les mains dans le cambouis et les ont salies quelquefois mais, en quelques mois, Pedro Sanchez a montré qu’on pouvait mener une politique cohérente avec ses idéaux politiques et surtout apte à répondre concrètement aux aspirations du peuple à une amélioration de sa vie quotidienne et à plus de justice sociale. Le tout dans le cadre européen (je suppose que les discussions n’ont pas toujours été faciles avec Bruxelles, mais des solutions ont été trouvées).

Mais Pedro Sanchez a refusé, à tort ou à raison je ne sais pas vraiment, d’accepter les conditions mises par les indépendantistes catalans pour prolonger son gouvernement d’un an.

Ce que je sais, c’est que, contrairement à ce que pensent certains responsables politiques de pays voisins, ce n’est pas en menant des politiques édulcorées ou incompréhensibles pour l’électorat, sous prétexte de contraintes économiques ou de conformité aux règles européennes, que l’on gagne les élections. Je pense que Pedro Sanchez et son équipe, même s’ils n’obtiennent pas de majorité, sortiront la tête haute des prochaines élections espagnoles.

En attendant,  Pedro Sanchez nous aura prouvé à nous tous, européens, qu'une autre politique est possible, politique qui améliore la vie des gens et qui ne nuit pas au développement,... pourvu qu'on ait des convictions et qu'on les garde!

 

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C
Très bel article, très intéressant et bien écrit. Je reviendrai me poser chez vous. A bientôt.
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