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Holodomor

Holodomor

Holodomor ? C’est quoi ? Est-ce qu’on en a déjà entendu parler ?

Si vous avez vu le film « L’ombre de Staline », qui faisait l’objet d’une toute récente présentation dans ce blog, vous avez pu noter qu’il est dédié à toutes les victimes du Holodomor.

Holodomor vient de l’ukrainien : « holod », la faim, « mor », le meurtre, l’anéantissement.

Holodomor, c’est le fait d’anéantir, de faire disparaître par la faim. Pour les Ukrainiens, c’est la disparition de millions de leurs compatriotes lors de la grande famine résultant de la politique de collectivisation à outrance et de la brutalité extrême du régime soviétique dirigé d’une main de fer par Staline au début des années 30, essentiellement en 1932 et 1933.

Or, ce mot, très peu utilisé en France, n’est apparu que tout récemment, au début de ce siècle. C’est en 2006 que le gouvernement et le parlement ukrainiens, sous la présidence de Victor Ioutchtchenko (rappelez-vous, il était mal vu des Russes, il a failli mourir empoisonné, il en a gardé un visage tout grêlé) proclament que l’Ukraine a été victime du « Holodomor », il y a plus de soixante-dix ans (bientôt quatre-vingt-dix maintenant). Et de souligner le caractère « génocidaire » du Holodomor, en reprenant une résolution du parlement : il s’agit d’un « génocide », « d’un acte délibéré du terrorisme stalinien » et « d’un des facteurs importants pour la reconnaissance de l’indépendance ukrainienne ».

Et nous écrivions dans « Déboulonner les statues », le 11 octobre 2017 : « La France n’est pas les Etats-Unis, et encore moins la Russie et l’Ukraine, où l’on a déboulonné des milliers de statues de Lénine, de façon massive en Ukraine, plus limitée en Russie ».

En fait, le débat fait rage entre la Russie et l’Ukraine. Inutile de vous préciser que ces mots de « Holodomor » et de « génocide » font bondir de rage Vladimir Poutine et ses partisans. Pouvons-nous continuer à nous tenir à l’écart de ce débat en France ? Apparemment il ne nous concerne guère mais il pourrait s’inviter aussi dans l’actualité la plus « chaude » de notre époque. 

Or ce mot n’est pas devenu familier seulement en Ukraine. Il est désormais bien connu dans une dizaine de pays qui, dans la foulée de la proclamation ukrainienne, ont tenu à reconnaître le caractère génocidaire du Holodomor : parmi eux les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, qui ont de fortes communautés ukrainiennes d’origine, mais aussi la Pologne et les Pays Baltes (j’ai personnellement découvert ce terme en 2008 en visitant une exposition en Lituanie). Curieusement, les Français sont très absents de ce débat. Autant l’immigration russe y a laissé des traces profondes, autant la Russie y a toujours suscité intérêt et passion, autant les questions ukrainiennes semblent oubliées. Et pourtant nous avons aussi des compatriotes d’origine ukrainienne me semble-t-il.

Je m’aperçois aussi que, malgré le secret total qui régnait sur ce sujet durant soixante ans dans l’ex Union Soviétique, cette tragédie est désormais relativement bien documentée, aussi bien en témoignages écrits qu’en photographie. Le film « L’ombre de Staline » montre bien l’interdiction faite aux journalistes étrangers de se rendre sur place et les mensonges de nombre d’entre eux, parmi lesquels le sulfureux Duranty, correspondant du New York Times. Mais d’autres étrangers ont pu se déplacer à l’époque en Ukraine : des spécialistes, ingénieurs, experts, officiellement mandatés par le régime pour aider à la construction d’usines, de barrages, etc…. Ils en ont rapporté des récits et des photos ,qui ont été publiés dès l’origine ou conservés dans les archives familiales.

J’ai surtout trouvé deux sources intéressantes : d’une part des documentaires produits au Canada, car c’est dans ce pays, où vit une grande communauté d’origine ukrainienne, que ce sujet est le plus étudié, avec des centres de recherche universitaire spécialisés. Ce qui nous permet d’ailleurs de bénéficier de quelques films sous-titrés ou doublés en français ; d’autre part un travail remarquable mené par un universitaire italien contemporain spécialiste de l’ex-URSS, Andrea Graziosi, qui a publié les « lettres » de Kharkov », envoyées à l’époque par les diplomates italiens en poste dans cette ville, située au cœur de la zone touchée par la famine, au ministère des affaires étrangères. On dit même que Mussolini en aurait pris connaissance. Des rapports très bien rédigés, précis, décrivant la réalité « sur le vif ». Mais n’ayant pas vocation à être publiés.

Je constate ensuite que la discussion sur le caractère « anti-ukrainien » et « génocidaire » du Holodomor fait toujours rage, et pas seulement entre Russes et Ukrainiens, mais aussi entre universitaires et spécialistes étrangers, anglo-saxons pour la plupart.

Les deux camps s’accordent sur l’existence d’une grande famine en ex-URSS dans les années 1932-1933 et sur ses causes principales, notamment la destruction de la propriété privée paysanne, la collectivisation forcée, les échecs techniques (les tracteurs ne marchaient pas, le matériel manquait, etc…), les réquisitions forcées de grains et d’animaux au profit des villes et régions industrielles, les déportations en masse des « récalcitrants ». Ils sont aussi globalement d’accord sur le fait que les campagnes ukrainiennes ont été le plus touchées, car c’est là que se trouvent les terres les plus fertiles, les autres zones concernées sont le Kazakhstan et les plaines du nord du Caucase, le Kouban, d’ailleurs en partie peuplées d’Ukrainiens. Tout cela pour dégager un surplus à exporter en échange de devises permettant l’industrialisation du pays. Beaucoup d’estimations chiffrées ont été faites, elles sont plus précises depuis l’ouverture des archives soviétiques, on peut avancer 4 millions de morts ukrainiens sur un total   de 5 à 6. Les autorités ukrainiennes disent 7 à 10.

Le camp des « dénonciateurs » du génocide :

     - soulignent que les plus grands ravages et les plus féroces exigences de réquisitions sévissaient en Ukraine, avec des chiffres de production volontairement forcés pour ne rien laisser, littéralement, aux paysans.

      - notent que le peuple ukrainien est concentré dans les campagnes, alors que les villes ont une population beaucoup plus mêlée de Russes, de Juifs (identifiés à part, ils ont bien sûr disparu après la dernière guerre), de Polonais, etc…

      - considèrent aussi que Staline avait une politique intentionnelle dirigée contre le peuple ukrainien en organisant une répression encore plus violente et ciblée

      - ajoutent enfin que, pour repeupler les campagnes touchées par l’extermination et la déportation de leurs habitants, les Soviétiques avaient fait venir des Russes en particulier dans la partie orientale de l’Ukraine. J’avoue que je n’ai pas pu documenter ce point qui serait particulièrement intéressant pour comprendre le conflit actuel du Donbass.

Ils concluent sur la réalité du génocide, en se référant à la définition donnée en 1943 mondiale par le « père » de ce terme qui fut utilisé pour la première fois au procès de Nuremberg, le grand juriste américain d’origine polonaise  Raphael Lemkin : « Plan coordonné de multiplication des actes visant à détruire les fondements essentiels de la vie de groupes nationaux ». Définition plus large que celle de la Shoah, qui consistait en une élimination quasi-immédiate.

Que répondent les « négateurs » du génocide » ?

    - Ils préconisent de mieux définir et étudier les mécanismes par lesquels la politique de collectivisation et d’industrialisation forcée a conduit à cette situation sur tous les territoires concernés : Ukraine, territoires russes limitrophes, Biélorussie, Kazakhstan.

     - Ils considèrent qu’il n’y a pas de caractère intentionnel visant à éliminer tel ou tel peuple. Staline a effectivement persécuté des peuples, ce fut pour l’essentiel une conséquence de la seconde guerre mondiale avec les peuples « coupables de trahison » au profit des nazis.

En fait, ce qui différencie les deux « camps » tient peut-être au positionnement qu’ils adoptent et à la perspective qu’ils veulent développer : les « dénonciateurs » prenant plutôt en compte une vision ukrainienne et les « négateurs » un point de vue d’ensemble sur l’histoire soviétique. Et, sur la période récente, plusieurs spécialistes initialement « négateurs » évoluent vers la thèse du génocide. C’est le cas du professeur Andrea Graziosi et chez nous, du spécialiste Nicolas Werth, un des auteurs du « Livre noir du communisme ». Je les rejoins volontiers dans leur approche réfléchie et étayée, plus pondérée que celle de certains documentaires ukrainiens assez « nationalistes ».

A ce stade, quels renseignements tirer de ces quelques réflexions ?

Tout d’abord que, même près d’un siècle plus tard, il reste des points à éclaircir, à étudier plus en détail :

   - quid de l’origine des habitants de l’est de l’Ukraine ? S’agit-il de Russes qui ont « remplacé » les disparus du Holodomor et des massacres des guerres ? Où est-ce plus complexe, avec une imbrication plus ancienne des deux peuples ? A signaler que l’écrivain russe « rebelle » Edouard Limonov, récemment disparu, disait dans un débat à Paris que la « vraie » Ukraine ne représentait que 9 provinces sur 26 de l’Ukraine administrative : à l’ouest, c’est des Polonais et autres peuples des Carpathes, à l’est des Russes !

  - quid de la Biélorussie ? A-t-elle été très touchées par la grande famine de de 1932-1933 ? Oui, mais à un degré beaucoup moindre que l’Ukraine, s’accordent à dire les historiens. Quelle est la nature et la force de leur sentiment national ? Et que ressentent-ils actuellement vis-à-vis de leur « grand frère » et voisin russe ?

  - si nous prenons en compte la réalité de ce génocide, allons-nous déboulonner de nouvelles statues ? Alors même que cette tragédie se déroulait en URSS, Staline et ses propagandistes organisaient des voyages de personnalités occidentales dans des « villages Potemkine », une spécialité russe de longue date. C’est ainsi que Edouard Herriot, ancien chef du gouvernement français, maire de Lyon et président du parti radical, déclare après un voyage officiel en Ukraine à l’été 1933 : « J’ai traversé l’Ukraine. Eh bien ! je vous affirme que je l’ai vue tel un jardin en plein rendement ! ». Est-ce que la volonté de se rapprocher de l’URSS face à la menace nazie justifie un tel aveuglement ?

    Nous sommes aussi concernés, en France et à notre époque, par le Holodomor.

Signé Vieuziboo

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