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Tous des oiseaux (Wajdi Mouawad à La Colline)

Tous des oiseaux (Wajdi Mouawad à La Colline)

Pour l’avant dernière samedi 16 décembre, à la Colline (Théâtre national), toute la salle était debout, l’ovation a duré très longtemps, pour saluer la performance, mais aussi la mise en scène, le jeu des acteurs, l’intelligence du texte.

Wajdi Mouawad, que le monde entier s’arrache, est québécois, (parce que la France n’avait pas renouvelé les papiers de sa famille dans les années de guerre au Liban). Il a 50 ans, et j’ai déjà vu une bonne partie de son œuvre théâtrale. Il a été nommé directeur du théâtre de la Colline, juste retour des choses, et excellente politique culturelle française.

L’histoire, c’est celle de Roméo et Juliette, elle arabe (pas du tout palestinienne) et lui, juif allemand. Ils se rencontrent dans une bibliothèque universitaire à New York, et c’est le coup de foudre, l’amour fou des deux côtés.

Tout va très vite, et la scène suivante, nous voilà en Israël, et le jeune homme est dans le coma, touché par un attentat palestinien à la frontière jordanienne. Que faisaient il tous les deux en Israël alors que la famille du jeune homme vit en Allemagne, sa mère étant juive d’ex-Allemagne de l’Est ?

Les retours dans le temps se font avec une grande liberté, on revoit la scène à New York, repas de Pessah, où notre jeune homme a tenté d’informer ses parents, et demandé un accord pour le mariage. La scène (non pas la Cène) est très violente. Le père d’Eitan est le plus acharné. Il s’appelle David, et il s’oppose complètement à cette union, pour préserver la mémoire, l’histoire, la tradition, la judéité, de la diaspora à la shoah, de la lignée à la communauté. Eitan lui répond qu’on n’hérite pas de l’histoire d’une famille, d’une religion ou d’un peuple dans nos gènes.

Car Eitan est un scientifique qui croit à l’identité des et par les gènes : tout est chromosome, et il résume toute l’histoire des hommes par ces 46 chromosomes qui constituent nos individualités. La shoah, ce n’est pas pour lui un héritage à porter constamment, on peut aussi poser son sac, le vider, et entrer dans l’avenir.

Oui, mais comme très souvent dans les pièces de Wajdi Mouawad, les personnages sont à la recherche d’un secret. Un secret des origines, un secret identitaire.

La pièce est divisée en quatre actes : L’oiseau de beauté, l’oiseau de hasard, l’oiseau de malheur et l’oiseau amphibie.

L’oiseau de beauté c’est indéniablement la jeune arabe, d’une beauté stupéfiante qui éblouit tous ceux et celles qui la voient. Lors de la fouille à corps effectuée par une femme militaire israélienne, la jeune fille, Wahida, se met nue, ses longs cheveux cachant ses seins et sa main pudiquement couvrant le pubis. Elle nous apparait comme la Vénus de Botticelli, d’une beauté à couper le souffle.

D’ailleurs, elle dira elle-même, pour expliquer pourquoi elle a refoulé son origine arabe : "Au fond, ça m’a protégée, je préférais mille fois qu’on me traite de tous les noms, qu’on me dise que je suis super belle, bonne à baiser, plutôt qu’on me dise que je suis arabe."

L’oiseau de hasard, c’est le destin, le passé, le refus, l’impossibilité : pas question qu’Eitan épouse « l’ennemie », même si le père d’Eitan a bien épousé une allemande, certes juive mais surtout appliquée, elle le dit elle-même, à rester « communiste », une identité plus forte que l’identité juive, et qui l’a marquée dans son enfance.

L’oiseau de malheur, c’est le présent, la vérité, l’accablement de la découverte, la demie mort, le coma, la mort.

« Les peuples qui ont des ennemis, qui ont l'expérience sinistre de la guerre et des massacres, élaborent le fantasme du mal et érigent l'ennemi en Ennemi. Ils font de cet objet d'autant plus imaginaire qu'il a été horrible, proche et violent, un Autre. Ils donnent à ses mauvaises intentions la dimension de l'infini. De sorte que l'ennemi n'est plus ce petit autre tout simple et notre alter ego, mais, dans le fantasme, l'Autre, le grand, sur lequel doit se rassembler et focaliser toute notre haine. Une haine, quant à elle, qui quitte le fantasme et passe à l'acte (d'exterminer). » (extrait journal La Colline).

Et l’oiseau amphibie fait référence à une histoire qui court à travers toute la pièce. Wahida fait des recherches universitaires sur un grand diplomate marocain, Hassan al-Wazzân, qui a été capturé par un pirate espagnol alors qu’il revenait de La Mecque. Le pirate, qui avait sans doute quelques méfaits à se faire pardonner, a fait cadeau de ce diplomate au pape Léon X en 1518. Ce diplomate eut l’intelligence de se faire baptiser pendant le temps qu’il était retenu à Rome (8 ans) et il a pu ensuite retourner dans sa patrie. Son nom est devenu alors Léon L’africain.

C’est lui qui avait raconté une histoire permettant de réunir des irréconciliables. Il parle d’un oiseau, qui, nostalgique du monde des poissons, plonge et nage dans l’eau, à la rencontre de cet autre monde inaccessible, sous l’eau.

Un type d’histoire qui fait rêver Wajdi Mouawad. Il dira :

"Tout conflit fratricide cache un labyrinthe où va, effroyable, le monstre aveugle des héritages oubliés."

On ne peut pas oublier que Wajdi Mouawad est libanais et que toutes ses pièces racontent, en souterrain, le Liban, les fractures, les communautés, les divisions et les tentatives de réunir les peuples.

J’ai complément oublié de préciser que la pièce est parlée entièrement en anglais, hébreu, allemand et arabe. Pas un mot de français et des acteurs qui maitrisent toutes ces langues avec une grande aisance. Ils sont presque tous juifs, donc pas moyen de jouer cette pièce ni au Liban ni dans aucun pays arabe.

Et il y a un acteur qui est un réfugié syrien …cette pièce ne sera donc jamais jouée non plus en Israël…

Mais pour toutes celles et ceux qui aiment le théâtre, allez y vite si elle passe près de chez vous!

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