Au cœur de l’été, les médias essayent de nous intéresser à des sujets plus distrayants, ou du moins plus « légers » que les nouvelles toujours aussi catastrophiques et traumatisantes qui nous parviennent de notre triste monde.
Tout récemment, on nous a montré comment des animaux que nous trouvons plutôt sympathiques étaient désormais mieux protégés en France. Il s’agit des dauphins. Inutile de rappeler toutes les qualités qui nous attirent chez ces cétacés : leur élégance lorsque nous les voyons se déplacer dans la mer, leurs capacités hors du commun à détecter des objets et des obstacles, car ils sont doués d’une sorte de « sonar » tout-puissant, leur intelligence et leur sociabilité. Comme beaucoup d’entre vous, je me suis réjoui lorsqu’on nous a appris que, sur la Côte d’Azur, un organisateur de nage en pleine mer côte à côte avec les dauphins a dû mettre fin à cette activité et a vu ses bateaux saisis. En effet, il est désormais interdit, en France, de s’approcher à moins de 100 mètres des dauphins en liberté. L’organisateur a essayé de plaider que les dauphins étaient venus d’eux-mêmes s’approcher de ses embarcations, mais il n’a pas convaincu les pouvoirs publics (!). Selon les scientifiques, il est prouvé que des contacts prolongés avec l’homme, en mer libre ou en enclos, ne peuvent que dégrader la santé des dauphins et réduire leur durée de vie.
De plus, nous venons de suivre les « aventures » de ce malheureux béluga qui s’était fourvoyé dans la Seine et qui n’a pas survécu aux tentatives de « repêchage » et de transfert dans la mer, malgré les efforts de dizaines de sauveteurs, pompiers, vétérinaires, etc…. Le béluga, dit aussi « baleine blanche » ou « dauphin blanc » est une espèce particulière de cétacé. On ne saurait le confondre avec les différents types de dauphins, mais il possède une caractéristique commune avec eux : il dispose de capacités exceptionnelles de perception par une sorte de « super sonar ».
Notre époque devient décidément très écologique, et pas seulement guerrière. Et pourtant…
Avez-vous remarqué que, pour la tentative de sauvetage de ce pauvre béluga, on avait fait appel à des spécialistes du Marineland d’Antibes ? J’ai assisté dans le passé, je l’avoue, à des « spectacles », des exhibitions plutôt, de dauphins et d’orques, tantôt au Marineland d’Antibes, tantôt lors d’un voyage aux États-Unis. Si l’on interdit la nage à proximité des dauphins, ne va-t-on pas aussi interdire ces spectacles qui, désormais, sont considérés comme nuisibles à la santé et à la survie de ces espèces ? Une attaque de plus de notre race humaine contre la biodiversité. C’est bien le cas : une loi récente du 30 novembre 2021 sur la lutte contre la maltraitance animale interdit dorénavant la détention et la reproduction de ces différentes espèces, sauf à des fins de recherche scientifique ou pour constituer des refuges et sanctuaires. Avec un délai de 5 ans jusqu’en novembre 2026. Ce type d’activités du Marineland d’Antibes est donc condamné à disparaître. On estime qu’il reste 21 dauphins et 4 orques concernés en France. Leur sort est incertain. Ils pourraient être envoyés dans des pays étrangers où ces activités existent encore, la situation est très variable et va de l’interdiction pure et simple des delphinariums, comme en Suisse, à des règles beaucoup moins protectrices de ces animaux.
Mais il me revient un souvenir de voyage. C’était à Cuba, il y a une vingtaine d’années, dans une station balnéaire très connue. Une excursion en mer comportait une séance de nage avec les dauphins, dans un enclos en pleine mer, assez loin du rivage.
Pourquoi les Cubains avaient-ils investi dans cette activité ? L’histoire récente l’expliquerait-elle ? La guerre froide ? Les Soviétiques ? Les Américains ?
Et voilà que la terrible actualité de la guerre en Ukraine réapparaît. Nous apprenons, par des sources américaines, que les Russes ont remis en service des enclos à dauphins en Crimée dans le port de Sébastopol (qui, rappelons-le, a toujours été occupé par la marine soviétique puis russe, même avant l’annexion de la Crimée en 2014). Et ce en février de cette année, juste avant l’agression contre l’Ukraine.
Car c’est une « vieille tradition » héritée de l’Union Soviétique : dès 1973, à Sébastopol, les dauphins étaient « militarisés » et entraînés ; à beaucoup de « performances ». Il s’agit de repérer des nageurs de combat, des mines, des objets dans les bas-fonds, mais aussi de poser des bouées de repérage à la surface et même de passer à l’attaque, par exemple en posant des explosifs sur les navires ennemis. Ceci nous a été raconté, entre autres, par un certain Victor Baranets, officier de l’armée russe en retraite, qui a fait des « confidences » en 2016 à l’AFP. Nous y voilà donc. La guerre russe a enrôlé les dauphins et leurs cousins cétacés. Récemment, ils avaient déjà été « mobilisés » dans les bases navales russes en Syrie. Et les chroniqueurs rappellent certains faits troublants. Ainsi, en 2019, on a trouvé au large des côtes norvégiennes un béluga avec un harnais marqué « equipment St Petersbourg » ! (loin de moi l’idée complotiste de faire de ce béluga égaré dans la Seine un espion russe…)
Mais, au fait, est-ce qu'un héritage de la guerre froide et de la rivalité entre les États-Unis et l’URSS n'aurait pas pu recommencer ? Car j’ai découvert que les Américains s’étaient depuis les années 1960 intéressés aux « qualités militaires » des dauphins. Ils ont créé le « Navy Mammal Program », dans la grande base navale de San Diego en Californie, où ils ont notamment « testé » une douzaine d’espèces différentes pour retenir les grands dauphins et les otaries de Californie. On a documenté leur utilisation dans la guerre du Vietnam, et dans la guerre du Golfe. Enfin, on cite deux pays qui auraient, eux aussi, « entraîné » des dauphins : Israël et la Corée du Nord. Deux pays dont la situation est très « exposée ». Donc « l’arme » des dauphins se révèle aussi sensible que l’arme nucléaire !
Ces constats m’inspirent plusieurs réflexions.
Tout d’abord, je n’ai toujours pas trouvé l’origine des enclos à dauphins de Cuba. En cherchant sur Google et Wikipédia, je n’ai trouvé qu’une floraison d’articles de promotion touristique des sites cubains de nage avec les dauphins. Il y en a plusieurs qui sont encore en service… Dans ce domaine, Cuba n’est pas très regardant sur l’écologie et la biodiversité. Après tout, cela viendrait-il des Américains, de la Floride voisine où l’on exhibe les dauphins ? Avant la révolution, voire plus tard ? Ou bien est-ce l’héritage d’un entraînement militaire russe ? Je n’ai pas encore la réponse.
Ensuite, je constate que, depuis les éléphants de Hannibal, l’utilisation militaire des animaux n’est pas nouvelle, avec d’autres formes d’intelligence et de sensibilité : la France, par exemple, a développé la colombophilie militaire (eh oui, je pourrais écrire tout un article à ce sujet, elle n’a disparu qu’au milieu du siècle dernier). Sans même parler des chevaux de toute sorte, des chiens de combat, etc... Et pourtant, c'est seulement en 2015 que la loi française a modifié le code civil pour reconnaître que les animaux étaient des « êtres vivants doués de sensibilité » et non des biens meubles. Paradoxalement, on leur a trouvé des « qualités » militaires bien avant de leur reconnaître la sensibilité et tout ce qui en découle : la prise de conscience de leur « capacité » à souffrir et une meilleure connaissance de leurs intelligences spécifiques).
Il est vraiment paradoxal (et inquiétant) de constater que des militaires dressent des dauphins en vue de la guerre, et c’est le cas dans cette affreuse guerre ukrainienne), alors même qu’ils sont considérés par beaucoup de scientifiques comme « l’espèce animale la plus intelligente sur terre » au point les décrire comme des « personnes non humaines ». Nous devrions au contraire chercher exclusivement à mieux les comprendre et à avoir des relations amicales avec eux.
Signé Lucien