Juste un petit rappel pour situer La Vie de Galilée dans l’œuvre et la vie de son auteur Bertold Brecht.
Bertold Brecht est né en 1898, en Allemagne, fils d'un père catholique, dirigeant d'une fabrique de papier, et d'une mère protestante. Il commence à écrire très tôt (à 16 ans) et entame des études de philosophie, puis de médecine à Munich. En 1918, à vingt ans, il est mobilisé à la fin de la Première Guerre mondiale comme infirmier. L'horreur de la guerre aura une influence importante sur lui.
L’Opéra de Quat’sous sera une pièce phare de la République socialiste de Weimar, mais, dès la montée du nazisme dans les années 1930, Brecht est tout de suite dans le viseur du régime et ses pièces seront brûlées lors de l’autodafé des livres de mai 1933.
Puis il est déchu de la nationalité allemande et restera apatride pendant de nombreuses années, où il fuit au Danemark, en Suède, en Finlande, puis en URSS et enfin aux USA.
Après-guerre, c’est le Maccarthysme (la poisse je dirais!) qui le poursuit, et lui interdira même de s’installer en RFA. C'est finalement par l’intermédiaire des Tchèques qu'il pourra rejoindre la RDA. En 1949, il s'installe donc définitivement à Berlin-Est et fonde avec sa femme le Berliner Ensemble où il exprime ses prises de position socialistes.
Mais là aussi, sa sincérité ne lui porte pas vraiment chance. Les autorités de la RDA ne trouvent pas son théâtre assez conforme aux dogmes du réalisme socialiste, lui reprochent d'être trop « formaliste », trop « cosmopolite » et trop « pacifiste ». Ses pièces pèchent par l'absence de héros ouvriers positifs. En 1950 il obtient la nationalité autrichienne.
Quand, le 17 juin 1953, les ouvriers est-allemands vinrent manifester en masse à Berlin (contre la médiocrité de leur niveau de vie, la forte augmentation des objectifs de travail et le mauvais fonctionnement des infrastructures, et plus globalement contre le régime), il se retrouve pris en étau entre ses convictions et la réalité , et il soutiendra l’intervention soviétique.
Malgré cela c’est lui qui manie l’ironie glaçante, avec cette phrase maintes fois citée (et qui aurait bien pu être utilisée s’agissant des Gilets Jaunes) « J'apprends que le gouvernement estime que le peuple a « trahi la confiance du régime » et « devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ». Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? »
Devenu une figure quasi-officielle du régime de la RDA, il reçoit le prix Staline international pour la paix à Moscou en 1955, un an avant de mourir foudroyé par un infarctus, à Berlin, à 58 ans.
La Vie de Galilée est une pièce que Bertolt Brecht a écrite de 1938, pendant son exil au Danemark, puis qu’il a révisée et traduite en anglais en 1945 lors de son séjour aux États-Unis, puis retravaillée jusqu'en 1954. La première représentation sur scène a eu lieu en septembre 1943 à Zurich.
Galilée, né à Pise en 1564 et mort près de Florence le 8 janvier 1642 (77 ans), est un mathématicien, géomètre, physicien et astronome italien du XVIIe siècle.
En 1592, il enseigne à l'université de Padoue, où il reste 18 ans. Padoue, appartenait à la puissante République de Venise, ce qui garantissait à Galilée une plus grande liberté intellectuelle, l'Inquisition y étant très peu puissante. Ceci étant, Giordano Bruno avait été brûlé quelques années auparavant.
En mai 1609, Galilée reçoit de Paris une lettre, qui lui confirme l'existence d'une longue-vue conçue par un opticien hollandais, et permettant de voir les objets éloignés.
Galilée, construit alors sa première lunette très puissante qui le transforme en astronome. Il se précipite vers l'observation des corps célestes et extrapole leurs mouvements. En quelques semaines, il découvre la nature de la Voie lactée, dénombre les étoiles de la constellation d'Orion, découvre Saturne et ses anneaux ainsi que les phases de Vénus. Il étudie également les taches solaires sur le soleil. Puis il fait observer ces astres à la cour de Toscane. C'est le triomphe.
Mais, en 1632, Galilée est convoqué par le Saint-Office. En affirmant que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil, et non l'inverse, Galilée s’est attiré les foudres des autorités religieuses. Car, en pleine période de guerres de religion, l’Église catholique pressent que si la Terre n'est plus le centre du monde, c'est tout son système de représentation qui remis en cause. Si l'Homme devient un animal comme un autre, il en découlera aussi que l’Église n'est pas le centre de la civilisation, et le Pape n’est plus le centre de tout ! Les interrogatoires se poursuivant avec une menace de torture, Galilée cède.
À travers la vie de Galilée, Brecht raconte le combat entre la science et le pouvoir théocratique. Le remplacement d'une pensée dogmatique par une réflexion qui s'appuie sur le doute, l'esprit critique et la raison nous mènera d'une organisation théocratique et autoritaire de la société à une organisation démocratique, ce que les pouvoirs en place ne peuvent supporter.
Comment ne pas voir dans ce texte, maintes fois remanié par Brecht qui y tenait donc particulièrement, une illustration de sa vie même, avec tous ses démêlés dans tous les pays où il a vécu ?
Galilée confie à un de ses élèves, ses derniers travaux (I Discorsi) en lui recommandant, en traversant l’Allemagne pour aller à Amsterdam, de faire attention, car il transportera "la vérité cachée sous son manteau ». Le texte a été écrit en exil en 1938, quelle ironie !
Quelques mots de la mise en scène magistrale d’Eric Ruf. Non seulement les costumes sont éblouissants, mais la mise en scène fait appel à notre « mémoire » des tableaux flamands et italiens du XVII siècle, aux clair-obscur de Caravage et de Rubens, aux scènes de Vermeer (les savants près de la fenêtre) et c’est tout à fait remarquable.
En décor, des tableaux d’anges et de scènes religieuses. Et quand ce merveilleux acteur Baldassarian qui joue Galilée, regarde le ciel dans sa lunette, le grand lustre du plafond de la salle de théâtre s’illumine comme les étoiles dans la nuit. Nous scrutons le ciel nous aussi, et nous aussi sommes émerveillés par les scintillements qui apparaissent dans la lunette de l'astronome.
J’avais déjà vu une mise en scène du texte de Brecht, dans une version plus longue et par un autre metteur en scène, et je n’en avais pas gardé l’éblouissement que j'ai ressenti dans cette mise en scène de Ruf . Mention spéciale pour les costumes des cardinaux qui tournent comme des ballons dans des robes cerceaux couleur pourpre ! on dirait des derviches tourneurs, et c’est à la fois ridicule et visuellement plein de sens.
Autre moment génial : la cérémonie d'habillage du nouveau Pape, morceaux de tissus par morceaux de soie, jusqu’à ce que le bonhomme, en chemise sur l'estrade et qui ressemblait à un condamné d’Abou Graib , se métamorphose en une sorte de scarabée étincelant, couvert d’or, harnaché comme un cheval, et bizarrement ganté de rouge !
La scène se termine dans une obscurité totale où ne luisent que quelques bougies sur la table devant le vieux Galilée , symboles vacillant de la connaissance qui va toutefois survivre à ces temps d'ignorance et d'intolérance.
Courez voir ce spectacle, il dure jusqu’à fin juillet mais reprendra à la rentrée.