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L'art du politiquement correct (Isabelle Barbéris, PUF) version 1

L'art du politiquement correct (Isabelle Barbéris, PUF) version 1

Isabelle Barbéris Agrégée de Lettres modernes, est Maître de conférences en arts du spectacle à l'université Paris Diderot et chercheuse associée au CNRS. Elle a publié  L'art du politiquement correct (PUF, 2019).

Elle y  décrit la montée en puissance de l'idéologie décoloniale dans l'art et dénonce la destruction des imaginaires par le "gauchisme culturel".

Je n’avais pas mesuré, pour ma part, et alors que je suis une spectatrice assidue de théâtre, combien l’art s’était érigé en tribune politique ces dernières années.

C’est très stupide pour moi d’écrire cela car je sais bien que l’art a toujours été un moyen d’expression qui a concerné le politique. Comment imaginer que Tartuffe (Molière 1669) ne soit pas une pièce « politique », comment oublier la vision révolutionnaire de Delacroix avec « La Liberté guidant le peuple » (1830), comment faire fi des caricatures de Daumier, ou du Guernica de Picasso? (1937 ). Et c’est même un moyen si puissant de propagande que toutes les dictatures l’ont utilisé à leur profit :que ce soit  l’art soviétique ou c’est l’art nazi, toutes les œuvres produites et mêmes conçues par et pour un pouvoir en place, sont considérées aujourd’hui comme des « pompiers », mais toutes ont été des vecteurs de diffusion d’une idéologie. Donc rien d’étonnant à ce que l’art soit « contaminé » par la politique. C’est à se demander d’ailleurs si les artistes n’ont pas d’autres choix que de servir ou de dénoncer la politique dont ils sont les témoins.

Isabelle Barberis le sait également mais elle ajoute qu’à partir du moment où l'art s'érige en tribune politique, il s'expose au risque du politiquement correct: de la parole creuse, répétitive, inclusive, conventionnelle, insignifiante - bref à la langue de bois. Et c’est bien vrai pour toutes les œuvres « serviles », qu’elles soient de droite, de gauche ou du centre, comme j’en ai parlé plus haut. Une partie de l'art consiste d'ailleurs à autoparodier son propre sentiment d'usure et sa mauvaise conscience instrumentale. Isabelle Barbéris, qui ne prêche pas non plus pour un art foncièrement incorrect, explique que la tendance d’aujourd’hui consiste en un nouvel académisme.

« Ce qui est fondamentalement nouveau, c'est que le nouvel académisme est anticulturel, car fasciné par sa négativité, cultivant le dégoût de ses propres valeurs. Ce qui produit l'aberration suivante: produire quelque chose de positif (le politique) au moyen d'effets nihilistes, mélancoliques ou bien encore d'une manie de la dénonciation et du procès (procès du public, procès des représentations), dont l'énergie est elle-même nihiliste. »

Ce qui est aujourd’hui artistiquement correct, passe par une « racialisation » des sujets, racialisation qui assigne un bon ou mauvais genre aux thèses « racialement » correctes. C’est bien entendu aberrant de parler de « race » (car, comme on le sait tous les races n’existent pas dans le genre humain)  mais justement les nouveaux censeurs font passer la ligne de partage du bien et du mal, du sain et du malsain, entre les cultures et les races.

Venant des USA, la pensée décoloniale, attribue ainsi aux œuvres du passé les stigmates de la colonisation et de l’esclavage. Les militants veulent ainsi « Décoloniser les arts » (c’est le nom d’une association très activiste en France. Ces militants demandent donc de revoir toutes les productions du passé pour les réécrire à la lumière de ce relativisme culturel.

Adieu la philosophie des Lumières, adieu l’universalisme, adieu Voltaire (un athée), adieu Pascal (un chrétien), adieu la lutte des classes (on la remplace par la lutte des « races »), tout doit être revu et reconsidéré grâce à un prêt à penser où trône la figure de la domination par la culture occidentale. C’est curieux au passage ce terme de culture « occidentale », moi je parlerais bien plutôt de culture européenne…mais bon, je ne suis pas politiquement correcte !

Toutes les luttes sont interchangeables (les luttes pour les droits des animaux dans le même « sac » que les luttes pour les droits des LGBT). Isabelle Barbéris ne conteste aucunement les droits des minorités et le besoin pour elles d’exister. Mais la segmentation extrême de la société poursuit, selon elle, bien d’autres buts.

Quelques exemples :

Histoire de bien rappeler les violences faites aux femmes, une récente mise en scène du Carmen de Bizet fait mourir Don José (l’amoureux jaloux) sous les coups de l’héroïne, et non l’inverse comme dans l’original.

Lundi 25 mars 2019, la pièce d'Eschyle, Les Suppliantes montée par la compagnie Démodocos et programmée  dans l'amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne, a été empêchée de jouer par une cinquantaine de militants de la Ligue de défense noire africaine (LDNA), de la Brigade anti-négrophobie, et du Conseil représentatif des associations noires (Cran), accusant la mise en scène de racisme. Motif : la pièce met en scène le peuple des Danaïdes venu d’Egypte et de Lybie demander asile aux Grecs de la ville d’Argos, les acteurs ont couvert leur visage d’un maquillage par-dessus lequel ils se sont couverts de masques cuivrés et non pas noirs, comme cela se faisait dans la Grèce antique. Les militants crient au « blackface », du nom de ce genre de maquillage théâtral américain du 19ème siècle ou des acteurs blancs se maquillaient pour caricaturer les noirs, et décident d’agir.

Et pourtant la pièce a été jouée avec des masques depuis 2500 ans !

« Lorsque l’on racialise à l’extrême la représentation, cela produit un retour des représentations racistes qui m’inquiète : le retour de la figure du bon sauvage. C’est difficile de ne pas reproduire ce que l’on s’acharne à critiquer. »

 Conséquences :

  • Le théâtre public est devenu une tribune mais surtout un tribunal, dans lequel on instruit le procès de la société, du public, en général consentant à cette repentance, cette pénitence, car provenant du même milieu socioculturel que l’artiste. « Il engendre un monde manichéen, essentialiste, qui multiplie les angles morts ». On est enfermé dans le spectacle de la honte. Et, ce faisant, l’art produit malgré lui du ressentiment et donc justement le contraire de ce qu’on voudrait : des Dupont Lajoie, des paumés, des homophobes.  
  • La segmentation de la société en minorités racisées, convient parfaitement bien à l’idéal néo libéral qui souhaite « vendre » selon des critères de marketing, à des populations ciblées (voir l’élection de Trump).
  • Enfin, l’entreprise artistique devient un moyen d’avancer vers la transformation des cerveaux. C’est le soft power, qui permet à la société de s’acclimater, petit à petit, à des thèses douteuses et même carrément inquiétantes. L’enfermement identitaire conduit à la haine de l’autre et au totalitarisme.

Le livre d’Isabelle Barberis est un livre d’universitaire et je dois bien avouer qu’il est parfois difficile à lire. Mais la thèse est finalement clairement compréhensible, et, après avoir moi-même nié cette pensée (portée, il est vrai par des gens bien peu recommandables) , j’arrive aujourd’hui à rejoindre les points de vue énoncés, en prenant bien garde, car nous sommes sur une ligne de crête, à ne pas tomber dans la caricature et dans la grossièreté qui amènent certains esprits à se réfugier dans le pire.

La citoyenneté ce n’est pas le traitement particulier de toutes les différences ajoutées les unes aux autres, mais au contraire l’affirmation de l’égalité en droits.

C’est un livre ardu mais salutaire que je conseille aux lecteurs avertis.

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