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L'âge du capitalisme de surveillance (Shoshana Zuboff, 2020, ed Zulma)

L'âge du capitalisme de surveillance (Shoshana Zuboff, 2020, ed Zulma)

« Vous n’êtes pas le produit, vous êtes la carcasse abandonnée de l’éléphant traqué par des braconniers ! » écrit Shoshana Zuboff dans l’Âge du Capitalisme de surveillance.

Shoshana Zuboff n’est pas une béotienne en matière d’analyse des conséquences de l’informatisation généralisée de nos sociétés. Elle a été une des premières, dans les années 80, à s’intéresser à l’impact de l’ordinateur dans le monde du travail. D’abord incrédule, comme tout le monde, elle ouvrait alors la possibilité d’une évolution positive par un renversement des pratiques de management en faveur des employés.

En dégageant du temps sur les tâches bureaucratiques et en autorisant une coopération dans la diffusion des savoirs, l’informatisation portait à la fois des perspectives émancipatrices et des menaces de contrôle inquiétantes.

Aujourd’hui, l’analyse de Shoshana Zuboff est délibérément alarmiste. Elle date aux débuts  du XIXᵉ siècle, le tournant emprunté par les géants du web pour construire, dans un no man’s land complet, une nouvelle forme de capitalisme, le capitalisme de surveillance.

Tout le monde le sait, nous sommes observés, et cela se passe dans une sorte d’inconscience, voire d’indifférence généralisée.  Certains de mes amis affirment même : « peu importe, je n’ai rien à cacher ».

Peut-être ont-ils pris des « précautions », comme d’éviter au maximum les réseaux sociaux, les activités en ligne, les recherches Google, les applications de traçage de type GPS etc…ou peut-être sont-ils tout simplement certains de ne rien laisser de répréhensible sur les moteurs et applications dont ils usent.

Mais que savent-ils au juste des traces qu’ils ont, malgré eux,  semé, tout au long de leur vie et jusque dans leurs démarches administratives et leurs mouvements à la maison ? Shoshana Zuboff raconte que  nous ne savons pas exactement ce que les géants du web collectent, tout est opéré dans la plus totale obscurité et dans une asymétrie totalement immorale à défait d'être illégale.

C’est bien cela que les GAFAM ont perçu, et à quoi ils tiennent mordicus. Opérer en terre vierge, c’est ce qu’ils veulent absolument préserver, ce qui leur garantit, une liberté sans frontière, sans limites, sans contraintes. Shoshana Zuboff compare le champ d’action de ce nouveau capitalisme à celui qui a présidé à la conquête du nouveau monde ou à l’exploitation des colonies. Voilà des espaces sans régulation, des terres inconnues, tous les abus sont donc possibles.

C’est l’essence du capitalisme que de chercher à monétiser ce qui n’a pas (encore) de valeur. S’appuyant sur les analyses des penseurs du XIXᵉ siècle (Polanyi, Marx..), elle explique que le capitalisme consiste notamment à accaparer, en les faisant entrer dans le marché, des domaines jusque-là sans valeur. Dans le passé, il s’agissait des terres (marché du foncier), des échanges (création de la monnaie), des hommes (le salariat). « L’histoire du capitalisme est marquée par le fait de prendre des choses qui sont en dehors de la sphère du marché et de les déclarer comme étant désormais des marchandises ».

L'auteur remarque que, dans les années qui ont suivi September11, les géants du web allaient très mal financièrement, leur modèle économique n’étant pas fondé sur le paiement de l’accès. Et c’est alors que Google a découvert une « mine », dont l’extraction gratuite des « matériaux » pouvait se révéler très rentable. Il s’agissait des données des utilisateurs. Et, c'est ainsi qu'en l’espace que quelques années l’action GOOGLE a augmenté de 3000 %, alors qu'il s'agissait du même produit, du même moteur de recherche, mais qui avait su tirer des revenus substantiels d'une nouvelle source, ce qui prouve qu’il y avait bien un marché pour la récupération de ces "matériaux". « Les propriétaires actuels du capital de surveillance ont déclaré une quatrième marchandise fictive tirée des réalités expérimentales des êtres humains dont les corps, les pensées et les sentiments sont aussi vierges et sans reproche que les prairies et les forêts surabondantes de la nature l’étaient avant de tomber dans la dynamique de marché. »

Dans un premier temps, il s’agissait de vendre des données aux publicitaires. Notre « engourdissement » à cette financiarisation résultait à la fois d’un discours hypnotisant et de circonstances socio-économiques liées aux ambivalences de la modernité.

Le discours d’abord : Google, Apple et les autres nous ont expliqué qu’ils ambitionnaient principalement de mieux répondre à nos attentes d’utilisateurs. C’était vrai, mais ce n’était pas le seul objectif.

Notre indolence face à ces atteintes à notre vie privée, s’explique aussi, selon Shoshana Zuboff, par une évolution de nos modes de vie et de pensée.

Pendant longtemps nos vies étaient prévisibles parce que « définies » par l’appartenance à une communauté traditionnelle.  Le sentiment de l’être humain comme individu a émergé petit à petit à travers les siècles et la vie des gens s’est individualisée, gagnant en liberté, mais aussi en incertitudes, donc en angoisse.

Les économies collectivistes ont ensuite constitué un épouvantail qui a conduit à la proclamation du néolibéralisme, présenté comme le seul rempart au totalitarisme communiste. Les services publics et surtout les entreprises publiques ont été démantelées, car considérés comme des erreurs coûteuses et des « violations destructrices de l’efficacité du marché ».

Mais arrivé à ce point, l’individu semblait bien isolé face au marché et ses angoisses ont redoublé. C'’est pourquoi internet est venu lui "donner" un espoir d’individuation, d'adaptation à ses besoins, une réponse à son désir d'accès au savoir, « comme je veux, quand je veux et à un prix abordable ».

Et voilà comment, tout à notre joie de ces nouvelles libertés, nous avons négligé « le requin qui tournoyait dans les profondeurs. » « Le capitalisme de surveillance a réquisitionné les merveilles du monde numérique pour répondre à notre besoin d’une vie effective, nous promettant la magie d’une information illimitée et mille façons d’anticiper nos besoins et d’atténuer la complexité de nos vies bousculées ».

Donc pourquoi s’inquiéter aujourd’hui ? Shoshana Zuboff explique que l’aboutissement de ce capitalisme de surveillance, c’est la suppression de notre vie privée, vie privée qui, sans être délinquante, devrait impérativement comporter au moins un espace de refuge, un havre, un lieu secret, intime, qui ne puisse jamais être violé. C'est humain, et cela existe depuis le fond des âges de l'humanité, nous avons tous besoin d'un abri protégé, d'une forteresse dotée de douves protectrices, et secrètes. Le projet du capitalisme de surveillance, c’est non seulement de prédire nos comportements, mais également de les diriger AVEC CERTITUDE, de telle sorte que notre société soit organisée comme une ruche, sans aucun espace d'individuation de nos désirs. C'est un projet de société, et ce n'est pas le résultat mécanique des nouvelles technologies. C'est une expulsion décidée et organisée de nos vies qui est en train de se produire dans un total vide juridique...

Le moindre clic, la plus simple connexion, le like, seront utilisés contre nous à la moindre occasion. Nos données de santé….actuellement….ne devraient pas être portées par des systèmes facilement hackés…par n’importe qui….

Ce livre est un brûlot, il peut susciter la controverse, il est en plus écrit dans une langue neuve, avec des mots non usuels, justement pour parler d’une nouvelle réalité, d’un « sans précédent », d’un encore « innommé ». C’est vraiment un livre pionnier, à lire sans aucun doute.

 

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