Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Vers quel nouveau monde naviguons nous?

Vers quel nouveau monde naviguons nous?

J’ai déjà évoqué (De la globalisation du capital santé, 16 avril 2020) les dangers des politiques de santé que nos gouvernants risquent de nous imposer, sous prétexte de retour d’expérience du Covid 19 et de lutte contre les épidémies : à savoir des politiques tournant le dos à la nécessité de réparer et renforcer le service public, en particulier en développant les compétences des soignants au contact des malades et en assurant un accès aux soins le plus équitable possible ; et, au contraire, en mettant en place, sous  prétexte de révolution numérique et de développement de l’intelligence artificielle, des méthodes de détection, contrôle et prescriptions  de traitements médicaux numérisés, déshumanisés et déconnectés des réalités. Avec au final des politiques fort coûteuses et sources de profits considérables pour les géants du numérique.

Trois évènements ont retenu mon attention ces derniers temps :

      - Dans notre pays, l’annonce du plan de relance « France Relance » par nos gouvernants. Avec comme il se doit une vaste campagne de communication. 100 milliards d’euros, dont 40 en provenance de l’Europe. Accourez, messieurs-dames, y en aura pour tout le monde, profitez-en !

     - La diffusion d’un article de Naomi Klein sur le site d’investigation new-yorkais « The intercept ». Dans cet article de fond et bien documenté intitulé « Ne laissons pas les géants du web prendre le contrôle de nos vies ! », elle dénonce la collusion croissante entre des responsables publics et des représentants des géants du web. Plus précisément, il s’agit de la mission confiée par le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo (une forte personnalité du parti démocrate, que certains auraient bien vu affronter Donald Trump lors de la prochaine élection présidentielle), à Eric Schmidt, ancien directeur général de Google. En quoi consiste cette mission ? Tout simplement, diriger un groupe d’experts chargés, je cite, « d’inventer l’avenir post-Covid dans l’Etat de New-York -très touché par l’épidémie-en mettant l’accent sur l’intégration systématique de la technologie dans tous les domaines de la vie locale ». Tout simplement !

     - Enfin, par une triste coincidence, le décès, à 59 ans, de David Graeber. Cet anthropologue américain qui se définissait comme anarchiste fut un des piliers du mouvement « Occupy Wall Street » en 2011. Beaucoup le considéraient comme iconoclaste, en tout cas le « New York Times » l’a défini comme « un des intellectuels les plus influents du monde anglo-saxon ». Il enseigna dans des universités prestigieuses (Yale aux Etats-Unis et la London School of Economics). Il faudrait évoquer ses idées et son œuvre plus complètement, mais je voudrais surtout souligner combien ses analyses dans « Bureaucratie » et « Bullshit Jobs » sont adaptées à notre monde contemporain et combien il va nous manquer pour décrypter ce qui nous arrive maintenant.

Pourquoi et comment ?  Parce qu’il a mis le doigt sur les contradictions les plus flagrantes, les plus terribles aussi, de notre système économique.

La bureaucratie. « Il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie de Louis XIV. », écrivait-il.  N’est-ce pas ce qui se produit dans les systèmes de santé, le nôtre comme ceux des pays anglo-saxons ? Tous nos soignants se plaignent de consacrer de plus en plus de temps à des tâches bureaucratiques, innombrables tableaux à remplir, cotation des actes, rédaction et application de protocoles, etc.., au détriment de l’exercice effectif de leur métier et de la présence auprès des malades.

Mais, justement, le recours accru aux technologies numériques et l’appel aux initiatives et aux travaux de recherche menés par des entreprises privées dynamiques et exerçant dans un contexte d’économie de marché et de libre concurrence ne devraient-ils pas alléger cette bureaucratie et réduire les dépenses publiques ?

Non, c’est exactement le contraire qui se produit, nous disent David Graeber et Naomi Klein au terme de leurs investigations perspicaces :

     -Nos systèmes de production font de plus en plus appel à des procédures bureaucratiques très lourdes, contrôle, « reporting », « optimisation des coûts », en réalité pour augmenter les profits. Avec au passage une déshumanisation des métiers et une précarisation des travailleurs.

     - On cherche de plus en plus à imposer ces procédures dans les services publics, qu’il s’agisse des administrations classiques, de la police, des hôpitaux.

     - Mais attention : ce n’est pas pour autant que les dépenses publiques vont diminuer. Car les géants du net, les « GAFAM » sont de plus en plus gourmands de fonds publics pour, sous prétexte de recherche et d’innovation, en réalité, étendre leur contrôle sur des domaines de plus en plus vastes de notre vie en société, et bien maximiser les revenus de leurs actionnaires.

    - Et ces fonds publics, ils vont manquer pour restaurer et dynamiser les services publics, les écoles, les hôpitaux, les administrations de proximité qui en ont bien besoin.

     - Avec, en prime si je puis dire, un contrôle de plus en plus prégnant, systématique et systémique, de nos activités et de notre vie privée. Le traçage de nos actes a déjà commencé par l’intermédiaire de nos i-phones et autres outils numériques. Mais on peut aller beaucoup plus loin : comme le constate le président de la puissante commission nationale de sécurité de l’intelligence artificielle, placée auprès du Congrès des Etats-Unis (tiens, c’est notre Eric Schmidt justement) : « L’Etat chinois s’implique fortement dans le déploiement de la reconnaissance faciale. La surveillance est un client tout désigné de l’intelligence artificielle…La surveillance de masse est une des applications phare du « deep learning »…Qui nous dit que, sous prétexte de diffuser l’utilisation des voitures sans conducteur (un autre développement poussé par les GAFAM), on ne va pas, chez nous aussi, systématiser cette surveillance de masse dans nos rues ? Et, sous prétexte, de « ville intelligente », ne nous prépare-t-on pas un univers truffé de capteurs de toute sorte, sans aucun contrôle démocratique bien entendu ? Naomi Klein nous signale d’ailleurs qu’un projet de prototype de la « ville intelligente » dans le centre de Toronto a été abandonné après deux ans de polémiques liées au volume gigantesque de données à caractère personnel qui serait recueilli par Google et ses filiales, et ce en l’absence de garde-fous protégeant la vie des habitants.

C’est cet engrenage que Naomi Klein décortique dans son article. Non pas qu’il soit inéluctable et qu’il ne suscite pas de contestation ou d’oppositions citoyennes. Mais justement il se dissimule sous les plus nobles intentions : tirer les enseignements de la pandémie de Covid 19 et, aux Etats-Unis, contrebalancer l’influence croissante de la Chine (dont on semble envier l’absence de soi-disant contraintes liées aux réglementations et aux libertés publiques) pour l’empêcher de devenir la puissance mondiale dominante. Nous sommes évidemment tous concernés, en Europe en particulier.

Cette évolution ne concerne pas que notre santé, nos déplacements, notre cadre de vie. Le même Andrew Cuomo annonce un partenariat de même nature que la mission d’Eric Schmidt sur le post-Covid, avec la Fondation Bill et Melinda Gates, cette fois-ci, dans le domaine de l’enseignement pour faire émerger « un système éducatif connecté ». Citons Andrew Cuomo. Il note que la pandémie a ouvert « une fenêtre historique pour l’intégration et la promotion des idées de Bill Gates. Tous ces bâtiments, toutes ces salles de classe, à quoi ça sert avec toute la technologie qu’on a à notre disposition ? »

Ne trouvez-vous pas que cette pandémie a bon dos et qu’elle peut servir de prétexte à accélérer des évolutions qui suscitent par ailleurs de plus en plus de contestations des citoyens ?

Et le plan de relance français, dans cette affaire, quel est le rapport ? Rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger une analyse détaillée des chiffres et des projets, j’y reviendrai peut-être ultérieurement, mais je tiens dès maintenant à dénoncer quelques idées reçues qui sont mises en avant par la communication gouvernementale.

On nous dit que ce plan va soutenir des projets et des investissements, et que pour le moment ces 100 milliards sont un gain net pour l’économie et la société, à peu de frais puisqu’on peut emprunter pour pas cher et que l’Europe va nous en couvrir 40 milliards. Pour ce qui est de couvrir ces dépenses, on verra plus tard !

Ce n’est pas tout à fait ça…

Non seulement, une bonne partie de ces 100 milliards prend la forme d’aides diverses et variées, sous les thématiques de l’innovation et de la numérisation, qui en réalité profiteront avant tout aux entreprises et notamment géants du numérique et des hautes technologies, mais cette somme comprend 20 milliards qui constituent une pure et simple baisse d’impôts payés par les entreprises, les fameux « impôts de production » .C’ est-à-dire qu’ils ne sont pas liés aux résultats, mais aux implantations : en clair, c’est ce qui a succédé aux impôts fonciers et à la taxe professionnelle. Ces baisses, sous prétexte de compétitivité, n’ont aucun effet positif direct sur les revenus ou les investissements. A moins que l’on ne croie encore à la « théorie du ruissellement » que plus aucun économiste sérieux n’ose mettre en avant. Par contre, on sait déjà comment cette dépense sera couverte ; par des baisses de recettes fiscales pour les collectivités locales. Je vous épargne le chiffrage de la répartition entre régions, départements et communes. C’est, dès l’an prochain, autant en moins pour les services publics locaux, ce qui a dès maintenant suscité des réactions des associations représentant ces collectivités, présidées par François Baroin et consorts, qui ne sont pas vraiment de dangereux gauchistes.

Quant aux 40 milliards de l’Europe, non seulement ils prennent la forme d’un « remboursement » qui n’est pas pour demain, mais ils proviennent d’un fonds mutualisé dont la France est contributeur net. Il faut bien que l’argent vienne de quelque part.

Je n’attends donc, malheureusement, pas grand-chose de ce plan de relance et j’y reviendrai plus tard au fur et à mesure que l’on prendra pleinement conscience de ses conséquences. Mais je crains qu’elles ne s’inscrivent dans la même logique que celle que dénonce Naomi Klein et que David Graeber aurait si bien su analyser.

Signé VIEUZIBOO

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article