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Quoi qu'il en coûte (enquête citoyenne partie 5)

Quoi qu'il en coûte (enquête citoyenne partie 5)

Ce post est la suite de l'enquête consacrée à la valeur de la vie humaine que vous trouverez ici:  1, 2 , 3 , 4.

Florence, 68 ans, Marie-Thérèse, 69 ans, Sylvie, 64 ans, Benoît, 73 ans, Christian, 69 ans, Gérard, 68 ans, Jacques, 73 ans, Jean, 82 ans, Jean-François 74 ans, etc…

Vous pensez peut-être que cette liste (très incomplète) de personnes d’un certain âge concerne des victimes de la pandémie de Covid 19 ? Pas du tout. J’ai voulu commencer cette rubrique dans une tonalité beaucoup plus positive, et tournée vers l’avenir. Il s’agit de quelques-uns des maires nouvellement élus dans les villages et les bourgs de ma petite campagne, après avoir été victorieux dès le 1er tour au mois de mars. Ils ont pu cette semaine, avec le déconfinement, réunir leurs conseils municipaux et recevoir ainsi leur écharpe de maire. Voici donc des responsables prêts à servir leurs concitoyens durant six ans, en y consacrant beaucoup de temps et d’énergie, et en travaillant à mettre sur pied de nouveaux projets tout en cherchant à résoudre les casse-têtes financiers de la crise et à affronter les éternels mécontents et grincheux.

Quelques-unes (oui, les femmes sont très minoritaires, je le regrette comme vous) et quelques-uns de leurs collègues sont plus jeunes mais, croyez-moi, la grande majorité d’entre eux ont plus de 60 ans. Ils appartiennent donc à cette catégorie de « vieux » (je n’utilise pas le terme « senior » que je trouve hypocrite) que beaucoup voudraient confiner envers et contre tout, quand ils ne les accusent pas d’être les responsables de la crise sociale et économique résultant du confinement.

Car voici venir une désagréable petite musique, qui malheureusement se fait entendre de plus en plus fort. Cette petite musique nous glisse à l’oreille que :

   - le confinement avait été rendu indispensable en raison de la nécessité de protéger les personnes âgées. Preuve en est qu’il aurait été hautement souhaitable d’ordonner, ou de recommander très fort, à ces personnes âgées de rester confinées après la fin de cette période.

   - le confinement avait entraîné un effondrement brutal de l’économie, comme on n’en avait pas connu depuis des décennies. Et l’on sait maintenant que le redémarrage se fait beaucoup plus lentement que la chute initiale : exit le schéma « en W » que certains économistes espéraient encore durant le confinement.

   - on a donc sacrifié l’économie, les emplois, en particulier ceux qui permettent aux jeunes de rentrer dans la vie active, sans parler des restos fermés, du tourisme à l’arrêt, etc…, on a donc sacrifié toutes ces activités à la protection et à la survie de « nos anciens » qui déjà n’ont plus beaucoup d’années à vivre. Et de ressortir les calculs de nombre d’années de vies sauvées que j’évoquais dans un précédent post.

   - cerise sur le gâteau, si je puis dire : on rappelle que « nos anciens » ont fait partie de la génération des « baby-boomers » de l’immédiat après-guerre, ou ont survécu à la guerre pour les plus anciens d’entre eux : faute d’avoir reçu des bombes sur la tête dans leur enfance, ils ont bénéficié, c’est bien connu, d’un mythique âge d’or des « Trente Glorieuses », ont profité de tous les charmes de la société de consommation et ont tous trouvé un travail dans lequel ils se sont épanouis.

Propos de tweet rageurs et incontrôlés, me direz-vous ? Hélas non, et c’est bien ce qui me met en fureur : propos du philosophe André Comte-Sponville dans une récente interview, qu’une seule phrase résume bien dans sa violence : « sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. Cela me donne envie de pleurer ».  Bigre !

Le plus grave, c’est qu’il est entendu, et pas par de respectables agrégés de philosophie. Aux Etats-Unis, on a vu des manifestants que l’on qualifierait de « populistes » brandir des pancartes : « Sacrifiez les faibles, déconfinez ». Ce qui fait dire à un New Yorkais qui propose des activités spirituelles aux personnes âgées : « La saison des discriminations contre les personnes âgées et vulnérables est ouverte. Qu’est-ce que ces propos font à ceux qui se sentent faibles ? Cela les terrifie. »

Je veux réagir, cette situation me paraît très grave.

Tout d’abord, je ne crois pas que le confinement soit la seule cause de nos difficultés économiques. Il y aurait beaucoup à dire et la crise actuelle pourrait bien avoir joué un rôle de révélateur de difficultés antérieures. Je suis convaincu que nous aurons à examiner ce point prochainement. 

Mais surtout, en y regardant de plus près, je m’aperçois que les représentations de « nos vieux » sont complètement déformées et figurent dans « des cases » très loin de la réalité :

  - première case : « nos vieux » dans les EHPAD, incapables de vivre de façon autonome, reclus dans ces établissements lointains. En fait, il y a un vrai scandale, dont on prend progressivement conscience dans la façon dont ils ont été exposés à la maladie. C’est cela le vrai sujet. Tout en rappelant qu’il y a moins d’un million de résidents en EHPAD, alors que la population des plus de 65 ans en France s’élève à 18 millions.

  - deuxième case : « nos chers grands-parents » si contents de s’occuper de leurs petits-enfants adorés. Mais attention, même réduits à ce seul rôle, il faut les astreindre à une stricte distanciation, et même, c’est préférable, les tenir encore bien confinés, à l’écart de notre famille.

Dans ces deux cas, l’accent mis sur le possessif montre bien que ces chers vieux sont réduits au rôle qu’on veut bien leur donner et n’ont pas droit à une vie propre.

Et c’est là qu’apparaît un énorme paradoxe. On a tout simplement effacé une troisième case : celle des personnes âgées qui déploient tant d’activité dans notre société, les élus, que je tenais à citer, les artistes, les écrivains, les journalistes, les influenceurs de toute sorte, et même les scientifiques, les experts de tout poil et les médecins !

J’en viens à penser que cet « oubli » de tant de groupes est volontaire. Passé les considérations individuelles (« oui, je sais, je suis à risque en raison de mon âge ») tous ces donneurs de leçon qui envahissent plus que jamais les médias s’emploient à « reconfiner » les personnes âgées, n’hésitant pas à déformer les statistiques au service de cette idée reçue : « le confinement a pénalisé en priorité les jeunes au profit de la santé des personnes âgées ».

Voulez-vous un exemple de ce que j’avance ?

Prenons cette grande étude statistique britannique, une des plus importantes à ce jour. Il s’agit du projet « Opensafely », qui, à partir des données médicales de 17 millions de personnes résidant au Royaume-Uni, présente une analyse statistique des facteurs de risque de décès par le Covid 19. Dès la mise en ligne des premiers résultats le 7 mai, c’est en France que les jugements sont tombés, au couperet : « C’est la confirmation que l’âge est le risque dominant, le risque de décès est directement lié à l’âge, il s’accroît considérablement chez les personnes âgées, 4,6 fois plus chez les 70-79 ans et 12,6 fois plus chez les plus de 80 ans ». Fermez le ban. 

 

Pas si simple !

   - l’étude n’est pas encore publiée dans un comité de lecture.

   - quand on y regarde d’un peu plus près, les observations statistiques portent sur un grand nombre de facteurs, tous intéressants à analyser. En voici quelques-uns :

  • le sexe tout d’abord : le risque de mourir est deux fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Va-t-on relancer une guerre des sexes ? Après tout, beaucoup de femmes ont été exposées à des violences familiales en raison du confinement, va-t-on le reprocher à la catégorie des hommes en général ?
  • le poids : le risque de décès des obèses est environ deux fois plus élevé. Va-t-on donner des arguments à la grossophobie, un comportement qui est dénoncé de plus en plus fréquemment ?
  • le diabète : là aussi, en cas de diabète non contrôlé, apparaît un risque deux fois plus élevé. Alors, haro sur les diabétiques ?
    Et je ne m’étendrai pas sur un facteur qui suscite un vif débat chez nos voisins britanniques, celui des origines ethniques (qu’il est interdit de caractériser en France) : les « Black and Minority Ethnics » présentent un risque de 1,6 à 1,7 fois plus élevé. Ce sont les Noirs, les Asiatiques, Britanniques ou non, qui représentent 20% de la population environ. 
    Beaucoup de commentaires sérieux et détaillés sur cette étude (et non des conclusions à l’emporte-pièce qui ne citent que l’âge) rappellent qu’il faut essayer de distinguer les corrélations des causalités et analyser les comorbidités, y compris sur le plan social : la pauvreté et la précarité pouvant exposer plus fréquemment les individus à certaines maladies. Je laisse la conclusion à Philippe Ravaud, directeur du Centre de recherche épidémiologie et statistiques à l’INSERM : après avoir souligné qu’il faudrait prendre en compte aussi l’intensité de la contamination et la gravité de la maladie, il se dit « réservé sur le discours sur les facteurs de risque car une fraction très importante de la population est à risque de faire une forme sévère de la maladie. »

Mais cela n’intéresse pas nos donneurs de leçon. Ils ont traumatisé des millions de personnes chez nous Et ces personnes dynamiques physiquement et intellectuellement, et ce d’autant plus qu’elles sont conscientes de leurs vrais risques de santé, coronavirus inclus, aspirent comme nous tous à retrouver une vie personnelle et familiale active, à voyager et à faire de nouvelles rencontres et découvertes.

Signé VIEUZIBOO

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