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Electre Oreste (Euripide, Ivo Van Hove, Comédie Française)

Electre Oreste (Euripide,  Ivo Van Hove, Comédie Française)

Pour la fête des mères, je suis allée voir l’histoire d’un matricide !

Cette histoire a 2500 ans, certes, mais elle reste actuelle, car aujourd’hui comme hier, rien ne peut bien sûr, légitimer le crime contre sa propre mère, fût-elle la pire des marâtres !

L’histoire est bien connue :

Agamemnon, le vainqueur de la guerre de Troie, le roi des rois, est assassiné à son retour à Mycènes par sa propre femme Clytemnestre et son amant Egisthe. Selon les sources (Homère, et les auteurs tragiques Sophocle, Eschyle, et Euripide), Clytemnestre aurait alors éloigné son fils Oreste et sa fille Electre, afin que leurs revendications d’héritiers ne puissent pas nuire à son nouveau pouvoir avec Egisthe. Le sort de l’un et l’autre des deux enfants semble bien différent car, tandis qu’ Oreste vit à la cour d’un roi, Electre est contrainte de se transformer en servante à la campagne.

Le texte choisi par le metteur en scène est celui d’Euripide, qui a vécu à la même époque que Sophocle et Eschyle dont il était éloigné d’à peine une génération. Les deux autres auteurs ont tous deux écrit sur l’histoire des Atrides, peu ou prou à la même période qu’Euripide.
Des trois dramaturges, c’est Euripide le plus poète, mais aussi le plus cruel, le plus « psychologique », et le plus « noir », du moins dans Oreste.

Il s’agit de deux pièces juxtaposées dans la mise en scène d’Ivo Van Hove. Deux pièces écrites par Euripide à 5 ans d’écart environ.

La première raconte l’histoire d’Electre, assoiffée de vengeance, humiliée par sa condition d’esclave et qui n’attend que le bras de son frère pour enfin venger le crime de son beau-père et de sa mère.

Lequel ne tarde pas à venir. Electre explique bien à Oreste qu’il s’agit de son devoir : il doit laver le sang dans le sang, d’ailleurs Apollon le demande. C’est en effet, sur la « recommandation » d’Apollon qu’ Oreste vient rechercher sa sœur Electre.

Dans la mythologie grecque, ce sont les dieux qui tirent les ficelles et qui font agir les hommes. Apollon a pris la défense de Troie contre les athéniens et contre sa sœur Athéna. Apollon est souvent représenté  avec un arc et des flèches (de combat, pas de chasse), c'est un dieu d’une grande beauté et à ce titre protecteur des arts, en particulier de la danse et de la musique, mais c’est aussi un dieu vengeur, et c’est pourquoi c’est bien lui qui guide la vengeance d’Oreste pour le crime d’Agamemnon. Les flèches d’Apollon sont porteuses de mort. Le seul remède réside alors dans la prière, la purification et le sacrifice :  seul Apollon peut écarter la maladie qu'il apporte.

Apollon est aussi la principale divinité capable de formuler des oracles dans le monde des Grecs. Il déclare : "j'ai engagé ma parole, et juré par un serment redoutable que nul autre que moi, parmi les Dieux toujours vivants, ne connaîtrait la volonté de Zeus aux desseins profonds". Ses oracles doivent donc être particulièrement suivis.

Electre est entourée sur scène par les Erinyes, des déesses de la vengeance, des déesses de la vengeance des femmes. La déesse Nuit a enfanté ces filles pour le châtiment des crimes, pour le maintien de la vendetta familiale (devoir de protection) et des anciennes coutumes (matriarcales). Elles sont l’épouvante des dieux nouveaux, qui reconnaissent l’ordre patriarcal (nouveau) au lieu de se conformer à l’ordre des mères. Tant qu’elles conservent leur puissance, le meurtre de la mère est le plus grand des crimes. Ainsi, elles poursuivent Oreste pour le meurtre de sa propre mère, et, à la fin de la 1ère pièce, Oreste devient fou, assailli constamment, harcelé dirait-on aujourd’hui, par les Erinyes qui ne pardonnent pas le matricide.

Dans Andromaque de Racine, on retrouve Oreste et la malédiction des Erinyes, Oreste qui dit, en parlant de ces déesses qui l’accablent : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? ».

La 1ère pièce se termine donc sur la folie d’Oreste et le chœur des Erynies.

Ce qui est particulièrement bien trouvé dans la mise en scène d’Ivo Van Hove, c’est, à mon avis, les musiques « barbares » et des danses de sorcières auxquelles se livrent les Erinyes avec Electre. Dès qu’elle apprend la mort de son beau père, la joie terrible d’Electre se manifeste par des danses échevelées, au rythme des tambours et des percussions (timbales en cuivre) au fond de la scène. C’est comme une transe, assez magique, troublante, profondément inquiétante, mais très « primitive » donc très humaine.

La seconde histoire est celle d’Oreste.

Perso, je trouve que l’enchaînement ne se fait pas bien :

  • D’abord parce que la psychologie du personnage d’Oreste change. De victime persécutée par le remords, le voilà réclamant l’indulgence du peuple d’Athènes.
  • Ensuite parce que le décor devrait également être modifié car nous ne sommes plus censés nous trouver dans une cour de ferme mais devant un palais.

Or, tout le spectacle se déroule dans une lumière noire, sur un champ de boue, où se trouve plantée la sombre demeure d’Electre, un cube de glaise sans porte ni fenêtre. Les coups de timbales rythment la pièce, brouillant le message et interdisant parfois de comprendre le phrasé des acteurs. Lesquels parlent en sons amplifiés, dispositifs peu courants à la Comédie Française.

Mais ce qui est le plus gênant et que je ne n’ai pas bien compris c’est le parti pris de faire jouer tout le spectacle dans la boue. Les acteurs sont complètement engloutis dans la boue qui s'insinue partout, envahit tout l’espace et qui, même, s’introduit dans la bouche des acteurs.

Je saisis bien qu’il s’agit de montrer qu’il n’y a pas d’espoir possible, que le destin « colle aux bottes », que la terre est mouvante sous les pas, qu’elle va nous ensevelir. Mais bon, pourquoi faire subir aux acteurs un jeu tellement éprouvant ?

Je n’ « adhère » pas , pour ma part, à ce parti pris théâtral.

Ceci étant, c’est vrai que, du coup,  les acteurs accomplissent une performance physique et « mentale » exceptionnelle, que la boue leur confère une violence animale, exige une implication totale, un jeu sans concession. Suliane Brahim (Electre) et Christophe Montenez (Oreste) sont hantés par les forces maléfiques qui les dépassent, et on ne peut qu’admirer leur prodigieuse énergie au sein d’un univers aussi hostile. Les deux personnages se radicalisent au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire. Jusqu’au carnage final…évité de justesse.

La vengeance, passion funeste, entraine la vengeance sauf à ce que la loi  (ou les dieux?) y mette fin. C’est bien ce qui est raconté par le récit de l’assemblée des citoyens qui décide du sort des matricides. Le peuple ne peut accepter la moindre indulgence, la piété filiale est un des piliers de la société. Il n’est pas justifié de tuer sa mère pour venger son père.  Ce sacrilège suprême ne peut plus s’accompagner de mots.

Il y a une scène terrifiante au milieu de la pièce, celle où Electre se repait du corps de son beau-père, qu’elle fait livrer sur scène, encore chaud et sanguinolent et qu’elle découpe elle-même …mais je n’en dis pas plus.

 

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