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La belle et le pénis (épisode 1)

La belle et le pénis  (épisode 1)

 (Ce post est une fiction)

Le métro aérien passait à ras des immeubles, enjambait la rivière et s’engageait sous un immense tunnel. A côté d’elle, des hommes d’affaires parlaient sans gêne de leurs entreprises. Elle entendait même les noms de leurs patrons, des hommes connus dans les media, moqués très souvent, ou craints. Il était aussi question de la bourse et des valeurs qui allaient monter ou descendre. Franchement n’importe quel polisson aurait pu noter légalement des secrets commerciaux introuvables partout ailleurs, et surtout très rentables.

Elle n’en voulait nullement au responsable CGT qui ne l’avait pas vraiment défendue.

Elle était rentrée dans cette entreprise high tech, juste après ses études accomplies avec brio dans une grande école parisienne de commerce. Elle n’avait pas tellement l’impression d’avoir peiné pour « réussir » comme ils disent tous. En fait, elle avait des facilités pour l’école, pour apprendre, pour s’adapter au système des études, des examens, des différents exercices exigés tout au long d’un parcours d’étudiant de haut niveau. Ce n’est pas qu’elle travaillait au point de se tuer à la tâche, ça non, d’ailleurs elle n’aimait pas du tout les efforts. Le sens de l’effort, elle ne voulait absolument pas  en entendre parler. Ou bien ce qu’elle entreprenait était amusant, et elle y prenait un vrai plaisir, ou bien c’était rasoir et elle le laissait de côté. Pour tout dire, elle se trouvait feignante. Jamais elle n’aurait voulu suer sang et eau sur un devoir, jamais elle n’aurait imaginé s’engager dans un « labeur », enfin une entreprise qui aurait exigé de se soumettre à une discipline, à une ascèse.  A son avis, le « travail » demandé à des étudiants ressemblait plus à un alibi pour se diriger vers tel ou tel domaine, encore inexploré pour elle, qu’à des actions répétitives comme il pouvait être exigé d’ouvriers à la chaîne. Ça c’était du vrai boulot, la chaine ! Au sens initial de travail/torture ! Elle ne travaillait pour ainsi dire jamais. Et ce n’était pas un effet de style ou des déclarations aussi snobes qu’hystériques, non pas du tout, elle n’aimait simplement pas travailler, c’est ce qu’on appelle la flemme. Plus jeune, ses professeurs avaient tous souligné sa « désinvolture ». Question notes, elle pouvait aussi bien ramasser les meilleures que les pires, ça dépendait de ce qui avait ou non éveillé son intérêt.  

En plus, et sans aucun doute, elle était super jolie, comme fille : longs cheveux, grande taille, souple comme un chat, fine comme une liane, œil clair et bouche mutine. C’était une belle plante lumineuse, ça oui, mais pas non plus un avion de chasse, pas une fille sophistiquée ou provocante. C’est qu’elle ne travaillait pas non plus sa beauté, ne passait pas son temps dans les boutiques et les instituts, pas plus que dans les salles de fitness. Trop harassant tout ça !  Pas de rouge nulle part, ni à lèvres ni à ongles. La féminité non agressive juste spontanée, c’est un état d’innocence, surtout quand elle est vécue en mode « nude », sans ornements ni artifices. Elle ne cherchait pas à être remarquée parce qu’elle était très réservée au fond, et très timide.  Quand elle envoyait des selfies, elle posait souvent en grimaçant ou en ajoutant des oreilles et un museau ridicule et rose, parfois des moustaches ou des oreilles d’elfes, comme on peut le faire avec INSTA ou SNAP.  Jamais elle ne cherchait à vamper qui que ce soit, peut-être parce que justement elle n’en avait pas besoin.

Maintenant, elle était en train de traverser Paris pour aller chercher son carton d’affaires. Elle avait été convoquée la veille au bureau. Son chef, un vieux fourbe qui avait survécu à la guerre (enfin aux guerres sociales incessantes dans toutes les entreprises), lui avait fait comprendre que sa période d’essai d’un an (un an ! ,  c’était bien trop long, une folie, qu'elle n’aurait jamais dû accepter  quand elle avait signé son contrat !) se terminait et que l’entreprise avait beaucoup investi sur sa carrière. Il lui proposait de prendre un poste fonctionnel qui lui permettrait d’avoir encore plus d’« envergure ». En gros, c’était une promo, mais une promo à leur façon radine de gérer les talents : pas un sou de plus, juste la gloire. Mais c’était présenté tout emballé, comme un gros cadeau. La boite savait flatter les egos pour en tirer le maximum. Mais déjà que le job ne lui plaisait pas du tout, s’il fallait en faire trois fois plus pour pas un centime , pas question. 

Surtout qu’au bout de 3 mois de présence dans la boite, elle allait déjà vomir dans les toilettes et mijotait des plans d’assassinat guet-apens à l’encontre de ce fou manipulateur qui s’intitulait chef. Parce que cet horrible lézard malade l’avait instituée comme son adjointe, lui refilant tout le taf qu’il ne voulait plus (pas) faire et la poussant en avant pour se valoriser lui-même. Elle était devenue sa mascotte, son faire valoir et sa feuille de vigne. Il se planquait derrière elle pour toutes les décisions un peu délicates, lui faisait jouer le mauvais rôle vis-à-vis de l’équipe et avait fini par tellement l’exposer qu’elle déclenchait des jalousies féroces dans l’équipe et au-delà. Elle avait fini par évoluer dans la boite comme s’il y avait des lunettes de fusils à pompe posées derrière chaque porte et qu’elle zigzaguait entre des bombes anti-personnel.

Fidèle à elle-même, elle s’était murée dans son propre mystère. De gentille et aimable, elle apparaissait maintenant comme une pimbêche sans cœur, qui, parce qu’elle se faisait, à en croire la rumeur, « sauter par le patron », se permettait de mépriser l’employé lambda. Pas besoin de préciser que la boite se composait d’anciennes secrétaires ménopausées, toutes montées en grade à force de persévérance, et de servilité. Pour la technique, il y avait plein de jeunes ingés boutonneux, et d’anciens bonzes qui remuaient imperceptiblement dans la vase, en guettant leur proie comme des caïmans affamés.

Elle avait décidé que plutôt que de s’ouvrir les veines pour mettre fin à son ennui, il valait mieux se tirer de là au plus vite. Le responsable CGT avait eu une mine dégoûtée quand elle était venue lui demander son aide pour toucher des indemnités de licenciement. C’est qu’en tant que « vampire» du capitalisme qui avait, à son palmarès, le licenciement de 3  honnêtes salariées, il ne fallait pas vraiment qu’elle s’attende à être défendue par un représentant des « travailleurs ».

Ni sa beauté, ni ses talents ne pouvaient servir d’excuses. Elle avait été le suppôt de Satan et maintenant c’était donc à son tour de payer. Payer quoi ? C’était elle qui ne voulait plus continuer dans la boite et qui avait dit non. Pas une raison pour se faire couillonner non plus. Elle pouvait bien obtenir un peu d’indemnités, non ?

D’autant, mais ça, elle n’en avait pas parlé, qu’elle projetait de faire le tour du monde . Enfin, pas vraiment, elle voulait surtout aller se dorer au soleil de pays généreux avec les touristes, comme le Costa Rica ou la Floride.

Elle négligeait assez superbement son apparence, mais être belle c’était pas une insulte, non ? C’est vrai aussi qu’elle pigeait vite, mais était-ce bien un défaut ? De toutes façons, on n’est jamais intelligent là il le faudrait. C’est pourquoi, face à son patron, elle n’avait pas su correctement (=proprement) refuser l’offre mirobolante qu’il lui avait proposée. Il s’était mis en colère. Rien de pire qu’un râteau pour un homme aussi infatué que lui. Il lui avait bien fait comprendre qu’elle lui devait tout, qu’elle aurait pu être reconnaissante, et que, dans ces conditions, elle n’avait plus qu’à partir sur le champ. Là, immédiatement !

Elle n’avait rien répondu mais dans sa tête, elle voyait le sabre japonais avec lequel elle lui aurait bien coupé le cou, zip, et même le marteau qu’elle lui aurait fracassé sur la tête, crac ! Personne ne pouvait se douter de sa violence, elle, qui paraissait si féline, et si flexible. Jamais on ne l’aurait crue capable de telles idées vengeresses.

Elle touchait machinalement son grain de beauté près de ses lèvres. Et puis, dans le métro, elle a commencé à sortir son téléphone. Je pense qu’elle n’attendait rien, ni messages, ni nouvelles sensationnelles. D’ailleurs elle n’allait jamais cliquer sur les actualités, elle avait toujours pensé que ce n’était pas nécessaire d’être informée dans la minute, que le monde pouvait bien attendre et qu’elle avait mieux à faire que suivre des faits divers.

Non, sur son téléphone, elle regardait les photos qu’elle avait prises. Elle prenait beaucoup de photos. C’est plus facile que d’écrire, que de décrire. Les autres jeunes tenaient tous un journal de photos où Ils racontaient leurs voyages, leurs vies, leurs amis, et même ce qu’ils mangeaient ou buvaient. Elle pensait qu’elle n’aurait jamais eu le besoin ou l’envie de faire savoir (à qui au juste ? à des followers qu’on ne connait même pas ? A sa famille ?) ce qu’elle faisait en temps réel. Mais elle prenait des photos d’elle pour elle, ou pour ses potes, ou encore des images de détails curieux qui l’avaient intéressée quand elle passait. Un carreau, une vitrine, un pignon d’immeuble, un nuage, un bout de train, des rails, une banderole, un tag, une affiche déchirée, un chantier arrêté. Et à chaque fois que la lumière lui semblait bizarre, elle composait un portrait trafiqué d’elle-même. En lapin, en clown, en sorcière.  (à suivre)

 

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