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Stronger than a bullet, film documentaire de Mariam Ebrahimi (Iran)

Stronger than a bullet, film documentaire de Mariam Ebrahimi (Iran)

Stronger than a bullet (trailer)

C’est une jolie jeune femme brune, vive, souriante, qui vient se présenter et nous dire quelques mots sur l’estrade. Elle est sympathique, volontaire, son visage est lumineux, rayonnant, et suscite joie et confiance.

 

Mais elle ne vient pas nous parler des plaisirs de la vie, ou des joies simples de la jeunesse, de la famille.

Non, elle va nous plonger dans les horreurs de la guerre, la tristesse infinie des batailles inutiles, des vies perdues, des vies gâchées, et des mensonges de la propagande. En nous montrant sans détour les mécanismes de l’exaltation guerrière, de l’exhortation au combat, ainsi que le désastre final, non seulement elle nous fait revivre les drames de notre histoire récente, mais elle nous invite à réfléchir au plus profond de nous-même sur ce qui nous fait aimer, ou hair, et peut-être enfin, espérer un monde meilleur.

 Cette femme, c’est Mariam Ebrahimi, une réalisatrice iranienne, qui vient de produire « Stronger than a bullet », un documentaire sur la guerre Iran-Irak des années 80 et les traces profondes qu’elle a laissées dans son pays.

Nous sommes guidés dans ce film par un homme mûr, au seuil de la vieillesse, qui parle comme un sage, triste, un peu nostalgique, meurtri peut-être par les épreuves de la vie: le photographe Saeid Sadeghi, qui a « couvert », sur le front, les épisodes les plus dramatiques de cette guerre. Nous partons en train avec lui, de Téhéran vers le sud de l’Iran. Voici tout d’abord les rues de la ville de Khorramshahr : des rues entières de maisons misérables, aux murs couverts d’impacts de balles quand ils ne sont pas tout simplement effondrés. Avec deux ou trois pauvres survivants de cette bataille, nous retournons trente ans en arrière : ces tranchées à perte de vue, ces soldats en uniformes usés jusqu’à la corde qui semblent ramper sans but, ces assauts dérisoires pour quelques dizaines de mètres de terrain à conquérir, ces blessés et ces cadavres : ne serions-nous pas un siècle plus tôt, dans les tranchées de 14/18, de la « der des der » ? Terrible ressemblance. Les malheurs de la guerre sont sans fin.

Mais les images diffèrent ; il n’y a pas de boue au fond des tranchées, seulement une poussière qui envahit tout, à la fois tragique et dérisoire. Et ces hommes, eux, prient Allah, proclament qu’ils sont prêts à affronter la mort pour recevoir la récompense des héros et des martyrs. De futurs martyrs, en effet, que la propagande du régime des mollahs a demandé à Saeid de photographier et filmer. Ils sont beaux, enthousiastes, ils défilent et crient leur joie. Dans une cérémonie pleine de symboles, on leur entoure le front d’un bandeau portant fièrement leur marque de soldats de Dieu et de la patrie. Saeid a un grand talent de photographe. Il sait capter l’expression et l’émotion de chaque visage. Ce ne sont pas des anonymes noyés dans la masse, ce sont des hommes pleins de vie. Et aussi des femmes lorsqu’il n’hésite pas à montrer les maris quittant leur épouse et leurs enfants, les fils se séparant de leurs mères. Malgré le port du voile, il sait aussi souligner la beauté de leurs visages. Saeid partage la vie et les souffrances de ses camarades de combat, il aspire lui-même à devenir martyr. Dans les tranchées, il est témoin des batailles et des morts innombrables. Ses photos sont publiées à la une des grands journaux et il s’en réjouit. Il est convaincu qu’il contribue ainsi à sauver son pays, qui, dans une situation désespérée face à l’Irak, soutenu alors par la plupart des grandes puissances, envoyait en urgence des dizaines de milliers de jeunes sur le front. Il est persuadé aussi qu’il avait aidé à sauver la toute jeune révolution islamique. Un seule fois, dit-il, un des soldats lui reproche d’avoir montré des hommes joyeux dans les tranchées, alors qu’ils vivaient un enfer.

Le temps a passé, les lieux de bataille et les tranchées sont devenus de grandioses sites de mémoire visités par les familles et les touristes. Cette guerre atroce est encore bien présente chez les Iraniens.

Saeid, lui, comme tant d’autres, est taraudé par ses souvenirs. Mais autre chose l’obsède : il a réfléchi, observé, et, comme il est devenu sans illusions sur les faux espoirs et les multiples déceptions de ce régime, il s’attribue une part de responsabilité. N’est-ce pas la force et la beauté de ces photos, le rayonnement de ces visages heureux et exaltés, qui a poussé tant de gens à la mort ? Il va encore plus loin : il nous rappelle que ce furent les premiers combattants « islamistes », que l’on entraînait au sacrifice suprême en leur promettant le paradis et la récompense des héros, avec les soixante-douze vierges. Et que d’autres organisations, d’autres groupes que les mollahs iraniens ont suivi ce sinistre exemple, souvent d’ailleurs dans une opposition frontale avec les combattants chiites. Les photos et les films deviennent « stronger than a bullet », c’est le titre du documentaire. Enfin, il se demande si, dans l’Iran d’aujourd’hui, ce n’est pas avec les mêmes méthodes que l’on recrute des combattants pour l’Irak et la Syrie.

Saeid est accablé par ce remords et cette responsabilité. Mais il s’exprime avec beaucoup d’empathie, une grave lucidité, et une très grande humanité. Ce n’est pas seulement un artiste photographe, il pourrait être écrivain, peut-être est-il poète, comme tant d’Iraniens. Les maîtres actuels de l’Iran, eux, ont un jugement plus expéditif, mais cohérent avec leur idéologie: Saeid est devenu «  fou ». Il n’est plus « crédible ». Il est laissé en liberté à ressasser ses vieux souvenirs (du moins au moment du tournage du film en Iran, qu’en est-il maintenant ?) mais on lui a confisqué tous les négatifs de ses photos.

Vous aurez compris que ce documentaire, réalisé avec des producteurs suédois, n’est pas diffusé en public en Iran, que Mariam Ebrahimi vit en Europe, et que Saeid est complètement isolé dans son pays. Il faut lui rendre hommage. Ses œuvres me font penser aux plus grands photographes, par exemple Robert Capa, et j’ai rarement ressenti à quel point ce ne sont pas seulement les mots (ou les slogans, ou les chansons) de la propagande, qui peuvent entraîner les hommes à la folie, mais aussi les images, car les belles images nous émeuvent et nous font rêver. Elles nous bouleversent aussi, comme cette femme toute vêtue et voilée de noir, toute droite telle un cierge devant une tombe.

« Stronger than a bullet » a reçu le prix du meilleur documentaire international (« FIPA d’or ») au Festival international des programmes audiovisuels (FIPA) de Biarritz en janvier 2018. Souhaitons que, grâce à ce prix, il soit diffusé prochainement en France. Non seulement il nous aide à mieux comprendre l’Iran, mais il porte un message universel de compassion et d’humanisme.

Signé: Vieuzibou

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