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Un chemin en pente

Un chemin en pente

En passant devant en voiture, je l’ai reconnu immédiatement. C’était un chemin gravillonné, en pente, un chemin étroit, un peu à l’écart du village. Le village ? Non, c’est un port, rien n’a changé sur les quais non protégés, si ce n’est que je ne me souviens pas de tous ces bateaux de plaisance, mais seulement de la mer, de la couleur de la mer, verte, aux grèves pleines de varech, brunâtre. C’est l’odeur de la mer qui reste pour toujours, et ces effluves iodés sont communs à tous les bords de mer. Sauf que le goémon ajoute une touche plus ou moins puissante de sel et de soude. Et dans ce cas, l’odeur particulière de ce petit port est identifiable pour moi, entre toutes les odeurs marines.

Les maisons n’ont pas bougé, mais elles étaient moins pimpantes, il ne me semble pas qu’elles étaient parées d’autant de teintes roses, jaunes, bleues. Je me souviens de maisons blanches aux volets bleus, mais je crois que le village était beaucoup moins animé.

En descendant la voie gravillonnée, on tombe sur le port. Je refais le trajet et je revois : au coin, à l’embouchure de cette pente, il y avait une vieille dame, qui balayait devant ses fenêtres. Un chignon gris bien tiré, elle se tenait devant un minuscule café.

Je monte et descends cette ruelle et je sens dans mes jambes, le sel qui tire ma peau : nous revenions de la plage, et cette grimpette épuisait nos petits mollets déjà bien mis à contribution par les marches en rang jusqu’aux étendues de sable blanc où nous nous baignions, dans un périmètre délimité, et pour un temps toujours trop court. Aujourd’hui la distance qui sépare le port de la maison (qui devait être à 50 mètres mais que je ne retrouve pas immédiatement), effectuée à pieds, me parait bien courte. C’est la montée que je trouve plus pénible, et pas à cause des muscles mais de la respiration. C’est la pente qui m’essouffle.

Je descends jusqu’au phare : ah, oui, le phare ! Très récemment, moi qui suis une parfaite terrienne, je me suis mise à collectionner les images de phares. C’est extrêmement beau un phare, l’idée même m’a toujours fait rêver. Allumer une lampe pour prévenir les marins, pour les guider, les protéger, c’est beau. C’est universel : le phare parle à tous, que ce soient des pirates ou des amis pêcheurs. Celui-là, avec son chemin de ronde, comme une couronne, qui cerne sa lanterne coiffée d’un chapeau vert, est entré dans ma mémoire : j’ai dû rester devant de longues minutes, ou heures. J’ai dû y accrocher ma minuscule nostalgie d’enfant, j’ai certainement pu le peupler de ma solitude, de mon isolement parmi mes congénères. Ce phare là, c’est le mien et comment l’oublier ?

Ce qui est beaucoup plus curieux, c’est de me rendre compte que justement, je n’ai rien oublié. Les souvenirs reviennent sans effort du passé, où ils étaient littéralement ensevelis, je n’y étais jamais retournée, jamais, ou alors c’était il y a si longtemps que je n’ai plus aucune image de ce retour dans le passé.

Restent la maison, l’école où nous étions logés. En tricotant dans les ruelles je parviens à un groupe de maisons blanches, je suis certaine que c’était l’entrée, mais il n’y a plus d’école, et d’ailleurs plus en contrebas, il y eu un éboulement. Mais si l’école avait été conservée, j’aurais tout reconnu. Les petits lavabos, les salles de classe où les lits avaient été alignés, spécialement pour nous. La cour et les cabinets, les cabinets des gamins, et les douches (quelques-unes seulement, on y passait à tour de rôle). Je revois ma place dans le dortoir, les fenêtres, les rideaux noirs de salle de classe.

Impossible de dessiner un visage, si ce n’est la position et les gestes de la vieille qui balayait devant sa taverne. Impossible de distinguer autre chose que cette foule d’enfants courant dans les communs. Mais je me souviens de l’odeur du dentifrice (des tubes précieux que je gardais à cause des rayures rouges qui explosaient en bulles de mousse abondante) , de celle des lits, des matelas, (une odeur si caractéristique qu’elle me donne encore envie de pleurer) , de celle du réfectoire (une odeur de petits pois en boite et de ratatouille).

Ce sont les sensations qui me sont restées, et les émotions, les échos, les vagues, de ce que j’ai vu, de ce que j’ai senti, entendu, perçu.

Le monde n’existe pas, seul notre souvenir, plus durable et plus solide que toute réalité, nous reste, vacillant mais impérieux, à l’intérieur de notre conscience.

Si les ordinateurs avaient existé à l’époque, et si j’avais pu écrire mes impressions, je ne les aurais jamais retrouvées : les langages se seraient perdus, les technologies se seraient périmées, et les images mêmes n’auraient plus été accessibles. Notre mémoire, si imparfaite soit elle, est encore le plus bel et mystérieux outil dont nous disposons pour redonner vie à notre passé. Ce n’est pas inutile, c’est un moyen de se sentir relié, rattaché, à nos racines, à notre « chez nous », dont on me dit, de ci, de là, qu’il aurait disparu. L’identité, c’est à l’intérieur de nous et personne, personne ne peut nous la retirer.

Il est vrai qu’il est très réconfortant-et même rassurant- de retrouver ainsi les lieux, les sensations, les odeurs de notre enfance.

Je viens de raconter un souvenir qui a ressuscité, en retournant sur les lieux, d’une colonie de vacances à Belle Ile en Mer……il y a plus de 50 ans ! (un demi siècle!)

Mieux que des photos (je n’en ai pas) , mieux que des histoires écrites ou racontées (je n’en ai pas non plus), la mémoire profonde, sortie d’un oubli qu’on croyait définitif, m’a ramenée dans une douillette certitude de la permanence et de l’intangibilité du monde que j’ai construit.

Je me sens bien, tout est parfait, c’est exactement là que je voulais être, j’ai fait ce que je devais faire, ma vie, toute en sinuosités et éboulements comme toutes les vies, est un chemin merveilleux….en pente…vers le port.

Un chemin en pente
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