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Je crois en un seul dieu (théâtre du Rond Point)

Je crois en un seul dieu (théâtre du Rond Point)

Texte: Stefano Massini. Mise en scène Arnaud Meunier

Actrice Rachida Brakni

D’abord le texte.

Stefano Massini est un jeune auteur florentin, couvert de prix et d’éloges. Il a écrit des pièces de théâtre sur Anna Politkovskaïa (Une femme non rééducable. Memorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa : « J'ai envie de vomir. Qu'est-ce que je fais ? Je continue ou je détale ? Je continue ou je ferme les yeux ? Prendre position, c'est faire preuve d'intelligence »), et sur la chute de Lehman Brothers. (Chapitres de la Chute. Saga des Lehman Brothers : « Si nous réussissons à faire entrer dans le crâne du monde entier qu'acheter, c'est exister, nous réussirons à renverser, chers Messieurs, l'ultime vieille barrière du "besoin". Notre objectif, c'est une planète Terre sur laquelle on n'achète plus rien par besoin mais par instinct. »).

Les textes sont à la fois poétiques, ironiques et engagés. J’avais vu dans les Lehman Brothers , le récit d’une chute, puis d’une ascension, puis d’une chute, au fond comme si le cycle était accompli de son point de départ (l’installation des Lehman aux USA pour fuir la misère allemande, à l’extinction des Lehman suite à leur chute en 2008) à son point d’arrivée : cycle buté et stupide du capitalisme qui vit de morts, de lueurs, d’apogées, de déclins. « Nous n’avons rien appris de la crise de 1929 » dira Stefano Massini.

Je crois en un seul dieu est un récit à la première personne de trois femmes, l’une israélienne, l’autre palestienne, la troisième américaine pendant l’intifada de 2003…était-ce la seconde ou la troisième ? Ces trois femmes ne se connaissent pas mais partagent le même espace. La palestinienne de Gaza va préparer un attentat à tel Aviv et nous vivons l’année précédant le meurtre. Le compte à rebours est lancé : toutes trois vont mourir, et c’est aussi absurde pour l’une que pour l’autre.

La mise en scène d’Arnaud Meunier est totalement dépouillée.

Nous sommes entre quatre murs de béton, avec trois portes et une ouverture rectangulaire au plafond. Nulle échappatoire, aucun détail, pas de chaise, pas d’ornements sur les murs. L’action est concentrée dans cet espace d’où fuir serait juste impossible.

Arnaud Meunier a mis en scène Michel Vinaver et Pasolini notamment. Sa compagnie « La mauvaise graine » a été hébergée en Seine Saint Denis. Il a été nommé directeur de la Comédie de Saint –Etienne ; Même génération que Stéfani Massini et Rachida Brakni. C’est la troisième fois qu’il met en scène Stefano Massini. Il est connu dans le monde entier.

Rachida Brakni, une grande actrice sans concession

Rachida Brakni, c’est à la fois une belle femme, une volonté de fer, une rebelle, une magnifique actrice. Césarisée et moliérisée pour ses rôles à la Comédie française dont elle est très vite devenue pensionnaire, elle laisse tomber "le français" pour mener une carrière au cinéma et au théâtre. Elle est la femme d’Eric Cantona, le footballeur le plus humainement engagé qu’on n’ait jamais connu.

A l’annonce du projet de déchéance de nationalité, ces deux-là et leurs enfants ont quitté la France pour le Portugal où ils vivent désormais. « Il y a des gens sur qui l'envi­ron­ne­ment, l'ambiance, les déci­sions poli­tiques glissent. Pas sur moi. » dit-elle.

Elle est seule en scène entre ces murs gris, seule à interpréter trois femmes, trois personnalités, trois destins. A travers le texte, on perçoit la réalité, les oiseaux qui glissent dans le ciel de la méditerranée, l’odeur de la pluie dans les rues de Tel Aviv, les bars où se presse la jeunesse, les ruelles en ruines de Gaza, les check points où est postée l’Américaine.

La femme israélienne est enseignante, elle milite pour le dialogue, c’est une colombe. Elle échappe à un premier attentat (la scène où Rachida crie en silence, les yeux écarquillée, la bouche ou s’abîme un hurlement, et la lumière de la déflagration est un chef d’œuvre). Depuis ce jour, elle se surprend, non pas à éprouver un désir de revanche, mais à ne plus nourrir les mêmes sentiments pour les voisins palestiniens. Elle glisse un peu vers la chosification de l’autre, mais c’est très imperceptible, ce n’est pas un changement du tout au tout. On comprend qu’elle vit sous le choc, qu’elle a subi un stress horrible qui l’empêche de dormir, et qui la conduit à ne plus être elle-même. Elle n’entreprend rien de répréhensible, mais elle n’a plus confiance, elle commence à douter…peut-être inconsciemment à souhaiter ….qu’ils disparaissent tous…non, mais qu’on ne les voit plus, qu’ « ils » restent derrière le mur, bref à souhaiter avant tout la sécurité. Qui ne pourrait pas comprendre ?

La jeune fille palestienne cherche à mourir en martyre. Et pourtant rien ne l’y contraint. Elle vient d’un milieu aisé, elle n’est pas soumise à la loi des extrémistes. On ne comprend pas trop pourquoi elle cherche cette fin-là. Mais c’est ce qu’elle recherche, comme s’il s’agissait, non pas d’un idéal, mais d’un signe d’existence, de reconnaissance, d’utilité de sa vie. Elle va voir des recruteuses qui ne l’acceptent pas comme ça, elle doit faire ses preuves, elle doit donner des gages de solidité. Elle doit donc accomplir quelques actes qui manifestent son engagement et montrent qu’elle ne reculera pas au dernier moment. Elle n’évoque aucune haine, c’est juste son chemin. C’est bizarre, c’est comme une compétition, un challenge qu’elle s’est fixé. Il n’y a pas d’autre sens à son acte. C’est plus un suicide qu’une action de guerre. C’est absurde.

La militaire américaine ne comprend pas tout, c’est peut-être le personnage dans lequel Rachida Brakni se sent la moins à l’aise. Elle est là pour maintenir la paix, mais aussi pour souligner à quel point toute cette situation n’a aucun sens.

Rachida Braki joue minimaliste, elle aussi. C’est dense et puissant à la fois. On reconnait l’israélienne qui met sa main devant son ventre. On voit les yeux exaltés de la palestinienne, l’attitude campée et presque masculine (mais sur les hanches) de l’américaine.

Rachida Brakni a une présence telle qu’elle remplit la salle, on retient son souffle, on l’entend presque respirer, tout passe sur son visage. Une fabuleuse actrice que cette Rachida, capable de nous tenir en haleine tout au long de la pièce, deux heures d’émotions intenses.

Le sujet ? C’est l’interface entre ces femmes qui croient en un seul  (et même???) dieu !!!! et qui vont pourtant mourir.

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G
Bravo
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G
Bravo Cerisette!
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